Archives de l’auteur : Ann Bandle

A l’ombre des regards

De la Renaissance à nos jours, la Fondation de l’Hermitage nous invite à porter notre regard sur les ombres des œuvres d’art. Là où lumière s’éclipse pour créer un contraste clair-obscur, dévoiler un mystère ou dramatiser un paysage. Des ombres parfois inquiétantes, colorées, spectaculaires, mais toujours fascinantes.

Selon un mythe qui date du 1er siècle après J.-C., le dessin et la peinture aurait été inventés par une jeune femme corinthienne qui traça les contours de l’ombre de son amoureux projetée sur le mur par la lumière avant qu’ils ne soient séparés. Par ce geste singulier, la première ombre est née, suivie d’une multitude de variations. Depuis ce temps lointain, les plus grands artistes en font usage, voire un véritable sujet, que ce soit dans les autoportraits comme en témoignent les œuvres de Rembrandt et Eugène Delacroix, ou le genre figuratif des impressionnistes. Avec le roi du Pop art Andy Warhol et sa série Shadows II, l’ombre portée atteint son paroxysme en terme d’abstraction. Et c’est toute la thématique de l’exposition transversale « Ombres » que nous présente la Fondation de l’Hermitage. A travers 140 œuvres réalisées au fil des siècles, le jeu subtil des ombres apparaît telle une évidence et sort… de l’obscurité.

Errance à la lumière des ombres

Parmi les nombreuses œuvres de l’exposition, le tableau magistral d’Émile Friant, Ombres portées (illustré), présenté au Salon de la Société nationale des Beaux-arts en 1891, met en scène un jeune couple. L’émotion est forte, puissante. Aux yeux implorants de l’homme, à son ardent désir, la jeune femme répond par un regard fuyant, leurs ombres en disent long. Un théâtre d’ombres et de lumière où rien n’est laissé au hasard. Pour y parvenir, les nuanciers déclinent les palettes de gris allant du gris bitume au gris tourterelle plus poétique, ou de bruns plus chauds, aux teintes brûlantes ou terre d’ombre.

Plus loin, les couchers du soleil flamboyants du peintre suisse Félix Vallotton  – qu’il affectionne pour en avoir peint près d’une quarantaine – illustrent quant à eux les ombres colorées. Une technique également adoptée par Hans Emmenegger, autre artiste suisse, dans le dessein de restituer au plus près la réalité.

Les ombres sous toutes les facettes

En parallèle à l’exposition, la fondation propose un programme d’activités pluridisciplinaires, jeux et parcours ludiques destinés aux enfants. Et pour les moins jeunes, une série de conférences, ateliers de découpage et stages pour une initiation tout au long de l’été à l’ombre des regards…

Ann Bandle

Fondation de l’Hermitage – Lausanne
Du 28 juin au 27 octobre 2019
Billetterie 

Les Quatre Saisons de Franz Gertsch


A l’occasion de l’inauguration de nouveaux espaces, le Musée Franz Gertsch à Burgdorf présente une rétrospective de l’artiste de 1955 à 2018. Les Quatre Saisons, œuvres monumentales à tout point de vue, sont désormais réunies sous un même toit. Une constellation inédite, plus réelle que la réalité.  

Si au cours de sa longue existence, Franz Gertsch n’a cessé d’inventer des techniques originales, il n’est pas pour autant, à 89 ans, en manque d’inspiration « j’ai encore beaucoup d’idées, probablement trop par rapport à mon âge », lance-t-il en souriant. A l’évidence, l’enthousiasme et la passion ne l’ont pas quitté. Dans l’isolement de l’Emmental, au pied des Alpes bernoises, à Rüschegg précisément, les journées s’écoulent sereinement. C’est là qu’en 1976, l’artiste a établi son atelier avec pour seule compagnie son épouse, Maria Meer, et pour seul horizon une vaste plaine peuplée d’arbres, ceux qu’il a plantés à son arrivée.

Dès lors, on ne s’étonne plus que ce jardin naturel constitue pour le peintre une source d’inspiration permanente. « C’est là que vivent les modèles que j’ai immortalisés ». Les sous-bois, les eaux noires au fond de la vallée, et derrière la colline, les rives du lac de Bienne, là où Franz Gertsch est né et de ce fait les plus belles. Fidèle à un rythme immuable, il travaille chaque jour cinq heures d’affilée pour nous livrer des paysages sauvages d’une précision consternante.

Une approche artistique innovante
En préambule à la peinture, Franz Gertsch arpente la campagne pour saisir sous son objectif le cliché digne d’être reproduit. « Je ne photographie que lorsque j’ai le sentiment que quelque chose pourrait en sortir » précise-t-il. Lorsque la photo est sublime, elle est projetée sur la toile pour en esquisser les contours selon une technique de son invention. Commence alors un travail titanesque de plusieurs années pour peindre plus vrai que nature, des paysages saisissant de beauté. Une peinture dense, lisible de près comme de loin. Maître de l’hyperréalisme, il invente un procédé semblable pour la gravure sur bois. Les reliefs sont marqués par un nombre infini de petites entailles avant d’être encrées puis imprimées sur du papier japonais, sorte de xylographie pointillée dont le résultat est tout autant stupéfiant.

Un Musée à son nom
Profondément impressionné par les œuvres de Franz Gertsch, le collectionneur et mécène Willy Michel fait édifier un musée à Burgdorf. Volontairement sobre, l’architecture est pensée comme substrat pour les œuvres de l’artiste, adaptée à l’exposition de formats monumentaux et de triptyques. Deux cubes aux lignes épurées entourés d’un jardin. Depuis son inauguration en 2002, le Musée Franz Gertsch, tel qu’il a été baptisé, a enrichi ses collections par de nouvelles acquisitions. Et plus récemment, une extension a permis de réunir dans un même espace – événement sans précédent – les « Quatre Saisons », un ensemble d’œuvres magistrales réalisées entre les années 2007 à 2011. « L’art n’est qu’une traduction de la réalité en une réalité picturale », nous résume avec modestie celui qui figure parmi des plus grands peintres contemporains.

L’exposition « Franz Gertsch. Printemps, été, automne et hiver » se déploie dans toutes les pièces du musée. Une rétrospective éblouissante à découvrir jusqu’au 18 août 2019.

Ann Bandle

Museum Franz Gertsch
Platanenstrasse 3
3400 Burgdorf

De Turner à Whistler, promenade anglaise à l’ère victorienne

Paysages romantiques à profusion, scènes champêtres ou scènes de vie tout simplement, l’exposition de la Fondation de l’Hermitage présente un tour d’horizon des grands peintres d’outre-Manche des années 1830 à 1900. Des œuvres picturales qui exaltent la beauté de la campagne anglaise mais témoignent aussi des changements induits par la révolution industrielle.

A l’époque où la reine Victoria règne sur le plus grand Empire du monde, la peinture anglaise ne connaît paradoxalement que peu d’engouement outre-Manche. Trop traditionnelle, trop conservatrice, voire d’un charme désuet face au mouvement impressionniste, elle a longtemps été reléguée au rang des œuvres narratives, sans originalité. Il faudra patienter presque à nos jours pour que les critiques d’art réhabilitent le talent indéniable des artistes victoriens et que leurs œuvres soient appréciées à leur juste valeur.

Des œuvres prodigieuses

A commencer par William Turner – l’incarnation même du romantisme anglais – qui figure parmi les plus grands paysagistes de son temps. Admis à 14 ans à la Royal Academy Schools, le jeune virtuose pousse la technique de l’aquarelle à son plus haut niveau avant de s’intéresser à la peinture à l’huile. En quête de sujets, il voyagera abondamment en France, en Italie et dans les Alpes suisses. Partout, il esquisse la topographie des lieux, annote les couleurs avec une précision inouïe. « Mon travail est de peindre ce que je vois… » Des paysages souvent tourmentés aux reliefs vertigineux sans cesse renouvelés. Il invente de nouveaux pigments, des dégradés de jaune qui éclairent ses toiles d’une lumière singulière que tant d’artistes lui jalouseront.

Si William Turner a inlassablement cherché l’inspiration dans les pays méditerranéens, son contemporain John Constable n’aime rien tant que sa chère campagne écossaise et ne quittera jamais la Grande-Bretagne. Il peint la nature sur le vif, scrutée dans ses moindres détails pour être méticuleusement reproduite. Une technique des plus abouties où il réussit le prodige de nuancer l’humidité de ces contrées pluvieuses. Le résultat est stupéfiant, mélancolique ou romantique, mais toujours vibrant. Van Gogh lui-même fut intrigué. Lors de son séjour à Londres en 1873, il retourna à maintes reprises à la National Gallery pour admirer The Cornfield, la toile que Constable réalisa en 1826, pour s’en inspirer.

Dans un registre différent, celui de la réalité sociale, d’autres artistes tels que Frederick Walker et Frank Holl mettent en scène l’indigence de la classe moins favorisée. Leurs tableaux – qui ne manquent pas d’une certaine hardiesse – illustrent les drames familiaux, les conditions de vie précaires, la misère. Des images sombres, pénétrantes, d’une imposante vérité.

Outre les artistes précités, l’exposition « La peinture anglaise 1830-1900 » du Musée de l’Hermitage à Lausanne réunit une sélection variée près de 60 tableaux des grands noms de la peinture victorienne et un ensemble inédit d’héliogravures. Dans le sillage de Turner à Whistler, la promenade est des plus émouvantes… à découvrir jusqu’au 2 juin 2019.

Ann Bandle

Fondation de l’Hermitage 
Route du Signal 2 – Lausanne

Illustration : George William Joy, The Bayswater Omnibus, 1895

Quand Pablo Ruiz devient Picasso


Après le musée d’Orsay, la Fondation Beyeler présente à son tour une exposition consacrée au jeune Picasso, les périodes bleue et rose. Des œuvres que l’artiste a réalisées pour la plupart à Paris dans les années 1900 à 1906. « J’ai voulu être peintre et je suis devenu Picasso ».

Formé à l’Ecole des Beaux-Arts de Barcelone, Pablo Ruiz Picasso n’a pas vingt ans lorsqu’il se rend à Paris avec son fidèle ami Carles Casagemas pour l’exposition universelle. Mais déjà, sa technique est remarquable et son ambition à la mesure de son génie. Si Picasso s’intègre sans peine dans l’effervescence de la vie parisienne et travaille d’arrache-pied, son ami s’enlise dans une passion non réciproque pour sa muse, Germaine Pichot. Il sombre dans l’alcool et se suicide d’une balle au Café de la Rotonde en février 1901. La tragédie sera immortalisée dans le tableau « La mort de Casagemas » par un Picasso bouleversé. Il confiera alors « c’est en pensant que Casagemas était mort que je me suis mis à peindre en bleu ». Et c’est dans cet état d’âme, empreint de tristesse et de mélancolie, que débute la période bleue. Des années de misère et de pauvreté où l’artiste se noie dans un océan monochrome. Il en émerge de nouvelles formes figuratives aux teintes bleutées, glaciales, crépusculaires. Le désespoir, la vieillesse, la mort… le hantent. Des œuvres bouleversantes qui, malgré leur beauté, ne trouvent pas preneurs.

En avril 1904, Picasso s’installe au cœur Montmartre, au Bateau-Lavoir, où il croise entre autres Modigliani, le portraitiste Kees van Dongen et Max Jacob qui lui apprend le français. Dans cette cité des artistes, il rencontre l’éblouissante Fernande Olivier, l’un des modèles favoris des peintres. L’amour entre dans sa vie et progressivement l’horizon bleuté cède au rose pastel, plus doux et plus tendre. Sa peinture se transforme, les couleurs chaudes réapparaissent, la chance lui sourit. La collectionneuse d’art contemporain, Gertrude Stein, le remarque et expose ses toiles dans son salon aux côtés de celles du célèbre Matisse. Désormais, il est connu du Tout-Paris et se lie d’une amitié autant artistique que littéraire, avec Apollinaire, qui restera un soutien infaillible.

Perpétuellement en quête de renaissance artistique, Picasso peindra dans une course effrénée plus de trois cents œuvres en six ans qui exaltent la vie, l’amour, la sexualité, le destin et la mort… Admirateur de Matisse, son rival et chef de file du fauvisme, il lui dira « Moi j’ai le dessin et je cherche la couleur, vous avez la couleur et vous cherchez le dessin ».

L’exposition de la Fondation Beyeler « Le jeune Picasso – Périodes bleue et rose » est l’aboutissement d’une vaste collaboration impliquant 28 musées et 41 collectionneurs privés. Elle réunit 75 tableaux et sculptures parmi le plus célèbres et pour certains rarement ou jamais exposés. Des œuvres qui précèdent le cubisme de Picasso et contribuent à son statut d’artiste le plus célèbre et prolifique du 20ème siècle.

Ann Bandle

FONDATION BEYELER JUSQU’AU 26 MAI 2019

Manguin, l’éclat du fauvisme

La Fondation de l’Hermitage présente une exposition éblouissante consacrée à Henri Manguin, le plus audacieux des peintres fauves. Des tableaux flamboyants, extrêmement bien composés, qui témoignent d’une technique maitrisée et d’un talent rare.

D’instinct, la peinture est apparue comme une évidence à Manguin alors jeune l’élève du lycée Colbert à Paris. Une volonté qui se concrétise par son admission à l’Ecole des Beaux-Arts. A vingt ans, il entre ainsi dans l’atelier de Gustave Moreau et se lie d’amitié avec Matisse, Marquet, De Mathan et Camoin. Sous leurs pinceaux, les couleurs se libèrent, elles illuminent la toile d’un éclat flamboyant. De ce bouillonnement artistique est né un nouvel élan expressionniste qui bouleversa les techniques traditionnelles.

Mais que serait le peintre sans sa muse ? En 1896 à Cherbourg, Mauguin rencontre la jeune pianiste, Jeanne Carette, un vrai coup de foudre. Belle et sensuelle, elle devient sa muse, son modèle préféré, la femme de sa vie. Jeanne sera omniprésente. Dans un atelier de fortune, installé au milieu de leur jardin rue Boursault à Paris, elle va poser pour le peintre de manière incessante.

L’enchantement méditerranéen

Malgré des débuts difficiles, le succès pour Manguin est quasi immédiat. Très vite, les collectionneurs s’intéressent à ses tableaux aux couleurs intenses. Elles émanent d’un authentique bonheur de vivre. L’hédoniste peint tout ce qu’il aime. Les paysages méditerranéens du sud de la France, Saint-Tropez en particulier. Sous le charme de ce petit village de pêcheurs, il loge à La Ramade – « la propriété où nous sommes dépasse tout ce que l’on peut imaginer, Saint-Tropez a l’air très beau… c’est le rêve » – avant de louer la villa Demière, perchée sur le haut d’une colline. L’artiste célèbre la beauté des lieux. Il peint le port, les plages sauvages, la mer, les arbres en fleurs, réalise ses premières aquarelles. Et surtout, il peint Jeanne, encore et toujours.

Jeanne, partout présente

L’exposition rassemble plusieurs tableaux illustrant l’épouse du peintre parmi les plus émouvants. Jeanne assoupie dans le jardin « La Sieste », d’autres sur la plage avec leur fils aîné Claude, ou encore sur le balcon de la villa Demière, la mer pour tout horizon. Puis Jeanne allongée nue à l’ombre des arbres, sa superbe chevelure relevée en un chignon volumineux. Les accords chromatiques sont d’une belle vivacité, les blancs ne sont jamais blancs, la palette du peintre chante… tout est opulence, tout est volupté.

A travers ses tableaux, Manguin dévoile une existence paisible et sereine. L’histoire heureuse d’un homme assurément heureux « la vie avec Jeanne avait été si complète et si belle».

Ann Bandle

« Manguin, la volupté de la couleur »
Fondation de l’Hermitage
Route du Signal 2 – Lausanne
Dès le 22 juin et jusqu’au 28 octobre 2018
Du mardi au dimanche de 10.00 à 18.00, jeudi jusqu’à 21.00

Le dernier-né des festivals de Megève séduit par sa programmation éclectique


Littérature, musique, films, théâtre, le « Festival Savoy Truffle » bouscule les codes par une programmation originale et multidisciplinaire, mais pas seulement.

A Megève, au cœur de ce village bucolique au pied du Mont-Blanc, le festival rend hommage au patrimoine culturel de toute une région, le Pays de Savoie, et fait la part belle à ses artistes : Renaud Capuçon, originaire de Chambéry, le skieur de l’impossible et rescapé de l’Himalaya Sylvain Saudan, l’harpiste Xavier de Maistre, sans parler du célèbre auteur Eric-Emmanuel Schmitt qui se met volontiers en scène pour « rompre la solitude de l’écrivain… » ou encore la projection de films tels que le Guépard avec Alain Delon, une épopée au temps où le duc de Savoie régnait sur l’Italie.

Il y a trois ans déjà que l’idée du festival a germé dans l’esprit des fondateurs désireux de mettre sur pied un événement singulier de haute qualité. Rien d’autre qu’un savoureux cocktail de plaisirs culturels qui s’adresse à un large public sans oublier les enfants. Tous les soirs, le KidsCorner leur propose des représentations théâtrales, lectures de fables ou ateliers, libérant ainsi leurs parents pour courir d’autres événements.

A noter que c’est du 17 août au 2 septembre 2018 qu’aura lieu la première édition de ce festival baptisé du nom du groupe pop Savoy Truffle, ou en hommage au fameux tube des Beatles de l’année 68… Deux semaines de spectacles en continu, autant divertissants que diversifiés, pour plaire à tous. Le programme publié en ligne promet une fin d’été féerique, à des prix accessibles, une belle prouesse !…

Ann Bandle

French cancan à Martigny

La Belle Epoque de Toulouse-Lautrec, ressuscitée grâce à une centaine d’affiches et d’estampes, les plus spectaculaires de l’artiste. Du jamais vu.

Style, mouvement, légèreté, les affiches de Toulouse-Lautrec témoignent de l’effervescence parisienne à la fin du XIXe siècle. Un foisonnement culturel où l’on voit apparaître les premiers cafés-concerts et cabarets populaires. Le monde frivole et rocambolesque des danseuses de French cancan, parmi les plus applaudies La Goulue en frou-frou et sa rivale plus pudique Jane Avril, la chanteuse Yvette Guilbert ou l’extravagante Loïe Fuller… des beautés rousses que Lautrec affectionne plus particulièrement et qui sont à l’affiche du Moulin Rouge. D’un trait de crayon acéré, il saisit une posture, une expression, un pas de danse endiablé.

Mais c’est au sein des maisons closes que Lautrec réalise ses lithographies les plus singulières, sans voyeurisme ni vulgarité. Une suite de dix planches, usant d’une large palette de techniques allant des demi-teintes estompées aux ombres mystérieuses, révélatrices des gestes gracieux de ces reines de joie.

La passion du dessin

Le célèbre lithographe n’était pourtant pas destiné à une carrière artistique. Descendant d’une ancienne famille de l’aristocratie bordelaise, Henri de Toulouse Lautrec est frappé à quatorze ans d’un handicap sévère. Immobilisé par deux fractures du col du fémur, imputables à une dégénérescence osseuse, il se distrait par le dessin et surprend par l’évidence de son talent. Il ne cessera d’affiner sa technique, cherchant inlassablement les nuances les plus subtiles et les couleurs éclatantes jusqu’à sa disparition prématurée à l’âge de trente-six ans au château Malromé. Travailleur sans relâche, il laisse un nombre d’œuvres considérable, malgré sa courte existence.

L’exposition de la Fondation Pierre Gianadda, « Toulouse-Lautrec à la Belle Epoque », est présentée pour la première fois en Europe. Elle réunit l’ensemble des œuvres d’un collectionneur privé, passionné assurément… et généreux !  A voir et revoir jusqu’au 10 juin 2018.

Ann Bandle

Fondation Pierre Gianadda
Rue du Forum 59 – 1920 Martigny
Tous les jours de 9 h. à 19 h.

Les falaises du deuil

Seul à bord de son voilier, Andrew disparaît en mer. Son corps  n’est pas retrouvé. Dans son roman « Rentrée des classes », Laurence Boissier raconte l’effondrement de sa femme, Elise, et de leurs deux enfants. 

Depuis le drame, Elise n’a pas réapparu au Musée de porcelaine et de l’argenterie, où les projets d’exposition qu’elle portait à bout de bras sont suspendus dans le temps. Pourtant, il y a urgence. Faute de moyens, le musée est tombé en désuétude, déserté par les visiteurs. Il faudrait solliciter les donateurs de plus en plus frileux et ranimer la curiosité pour les objets infiniment précieux. Mais le cœur n’y est plus. 

La souffrance des enfants

Car depuis la disparition d’Andrew, les troubles comportementaux de ses enfants l’inquiètent. Henry refuse obstinément d’aller à l’école et sa petite sœur, Mathilde, s’enferme dans son armoire. Déconcertant pour Elise qui imagine le pire scénario. Et si, à tout prendre, Mathilde aurait préféré perdre sa maman à la place de son père adoré ?  Un doute lancinant qui reste sans réponse : « Lui parler du père le plus possible et à toutes les occasions » , recommande le pédiatre.

Vivre dans l’incertitude

Dès lors, comment survivre à la douleur sans sombrer dans l’oubli ? A chaque sonnerie, , l’espoir renaît, l’inimaginable resurgit, le cœur bat plus vite… Dans leur accablement, ces âmes éperdues peuvent compter sur la bienveillance du directeur du Musée, personnage attachant, et non moins en carence affective. Malgré les faits tragiques, l’auteure glisse subtilement des passages teintés d’humour comme pour adoucir le récit et nous décrocher un sourire.

Lauréate du Prix suisse de littérature pour son précédent ouvrage « Inventaire des lieux », Laurence Boissier nous captive par son roman à la fois désespéré et lumineux, une « Rentrée des classes » singulière.

Ann Bandle

Laurence Boissier
«La Rentrée des classes»
éditions art&fiction, Lausanne 2017

 

Jean Fautrier – Matière et Lumière

du 26 janvier au 20 mai 2018 – Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

Après la rétrospective de l’été dernier au Kunstmuseum de Winterthour en Suisse, le Musée d’Art Moderne de Paris consacre à son tour une exposition à Jean Fautrier « Matière et lumière ». Un hommage rendu à l’un des plus grands peintres et sculpteurs de l’après-guerre, précurseur de l’art informel, qui a légué quelque soixante oeuvres au musée. Remarqué dès son plus jeune âge pour son talent, Jean Fautrier a été admis à la Royal Academy of Art à quatorze ans. Il ne connaîtra un réel succès qu’en 1960, couronné par le Grand Prix de la Biennale de Venise, quelques années seulement avant sa disparition.

Pays de Vaud, Terre d’élection

L’historien vaudois Olivier Meuwly, directeur scientifique et coauteur du collectif « Histoire vaudoise » se penche sur la période mouvementée du début du XIX siècle, alors que le pays de Vaud est libéré de la tutelle bernoise et traverse de nombreuses réformes. Entretien en préambule à sa conférence du 26 septembre prochain à 20.00 au château de Germaine de Staël à Coppet.

La réorganisation du Canton de Vaud, libéré de la tutelle bernoise, a-t-elle permis un essor significatif ?
Olivier Meuwly: 
Une fois créé, le canton de Vaud a un triple objectif: prouver sa capacité à se débrouiller seul, sur le plan politique, économique et militaire. Il va déployer tous ses moyens pour l’atteindre… avec succès! Vaud s’attachera à s’afficher comme un partenaire fiable et loyal au sein de la Confédération, là aussi avec succès. Le canton de Vaud sera dès lors l’un des piliers de la Suisse entrain d’advenir.

Quels sont les personnages d’influence sur la scène politique vaudoise à l’époque de Germaine de Staël ?
Olivier Meuwly: Frédéric-César de La Harpe est un personnage important mais réside à Paris, d’où il tire les ficelles et d’où il oriente la révolution de 1798. Il est en retrait durant la période de la Médiation et revient au premier plan durant le Congrès de Vienne où sa proximité du tsar Alexandre lui permet de travailler pour le maintien de l’indépendance vaudoise. Mais il peut compter sur un trio de personnalités de grande envergure en terre vaudoise: ceux que l’on appelle les « Pères de la patrie », Jules Muret, Auguste Pidou et Henri Monod. Ce dernier, proche ami de La Harpe, jouera un rôle éminent.

Napoléon, l’ennemi de Germaine de Staël, est-il craint ou admiré ?
Olivier Meuwly: 
Napoléon est redouté partout… sauf dans le canton de Vaud. C’est Bonaparte qui, en édictant l’Acte de Médiation, a posé les bases de la Suisse fédéraliste moderne, consacrant la souveraineté vaudoise. Vaud devient un canton comme les autres, avec sa Constitution, son organisation. Les Vaudois ne l’oublieront pas.

Que vous inspire Germaine de Staël, en particulier son rôle de femme engagée en politique?
Olivier Meuwly: 
Germaine de Staël est indiscutablement la mère spirituelle du libéralisme qui émerge à son époque. Il serait passionnant de chercher dans les oeuvres de Constant et de Staël ce qui appartient en réalité à Benjamin ou à Germaine. Leur pensée s’est formée à travers  un enrichissement réciproque fascinant, dans une extraordinaire symbiose.

Réalisé par Ann Bandle pour les Rencontres de Coppet

Monet Collectionneur

du 14 septembre 2017 au14 janvier 2018 au Musée Marmottan Monet à Paris

MONET COLLECTIONNEUR

L’exposition « Monet Collectionneur » présentée au Musée Marmottan à Paris est un événement inédit ! Oui, Monet fut aussi un collectionneur émérite. Tout au long de sa vieil s’entoura d’œuvres des plus grands peintres de son époque, des amis pour certains. Delacroix, Manet, Renoir, Signac, Cézanne, Pissarro, et bien d’autres… Une collection privée exceptionnelle, réunie pour la première foisPrès d’une soixantaine d’œuvres d’art qui nous révèlent sa passion et  son admiration pour les maîtres de l’impressionnisme, dont il est de toute évidence le chef de file…  A découvrir jusqu’au 14 janvier 2018.

Versailles d’hier… à aujourd’hui

Visiter le château de Versailles autrement, au bon vouloir de l’alphabet, pourquoi pas. Dans son « Dictionnaire amoureux de Versailles » Franck Ferrand nous invite à flâner dans le plus beau château du monde. Hors des circuits habituels et encombrés.

Depuis sa tendre enfance, l’écrivain scrute l’âme de ce lieu magique pour lequel il éprouve des sentiments passionnés « seul dans le saint des saints, au milieu des ombres, j’ai senti que je pouvais franchir les siècles et, véritablement, touché du doigt l’Histoire». Avec enthousiasme, il ranime le faste de la vie de Cour par une multitude de détails « qui ne se révèlent qu’à la centième promenade » assure-t-il, alors que l’on croit avoir tout vu et tout admiré. Au-delà de l’éblouissement au premier regard, il décrypte la face cachée des lieux, quelque deux mille trois cents pièces et des jardins à l’infini au passé vertigineux. Tout le mystère réside dans ce qui fut et qui n’est plus, transformé ou détruit pour renaître sous la volonté des puissants maîtres, de Louis XIV à Charles de Gaulle. Anecdotes insolites, indiscrétions savoureuses, scandales… l’ouvrage se lit avec délectation.

D’entrée, l’Allée-Royale s’impose, anoblie sous Louis XIV par des embellissements statuaires. Le Roi-Soleil avait coutume d’organiser des courses de traîneaux sur les parterres enneigés entre le bassin d’Apollon et celui de Latone.

A la vue de l’immense château, on n’imagine guère l’entassement des courtisans. Plusieurs milliers de nobles y vivaient à l’étroit dans le perpétuel souci de plaire. Messes, bals, cérémonies du lever, du débotté, du souper et du coucher du roi imposent un rythme effréné, où il est bon d’être vu en grands atours glissant élégamment sur les parquets. L’étiquette est des plus strictes jusqu’aux animaux de compagnie. Seuls les chiens et chats médaillés de lys blanc étaient tolérés à la Cour.

Les appartements se visitent à la lueur de leurs occupants. Celui de Mme de Montespan remporte la palme de l’exotisme. Perroquets, singes et même un ours distrayaient la favorite au temps de son apogée. Plus loin, on découvre notamment l’étonnant appartement des Bains alors que le Roi-Soleil ne pratiquait que la toilette sèche, destiné aux plaisirs du bain avant d’être affecté… à Mme de Montespan en disgrâce. Il n’en reste aujourd’hui que quelques décors aquatiques qui témoignent de sa destination initiale.

Après  « Ils ont sauvé Versailles » et « Gérard Van der Kemp, un gentilhomme à Versailles », Franck Ferrand nous dévoile d’autres facettes de son lieu de prédilection. Contrairement aux hommes, tous ces chefs d’œuvres traversent les siècles pour autant que l’on en prenne soin souligne-t-il. Il y a urgence à s’installer à Versailles, si ce n’est pour admirer « La Proserpine de M. Girardon et le Milon de M. Puget, à l’entrée de l’Allée-Royale. A eux seuls, ils justifient le voyage – peut-être même un déménagement. » On ne peut guère être plus convaincant !

Ann Bandle

 

Franck Ferrand
Dictionnaire Amoureux de Versailles
Editions Plon
557 pages

 

 

 

 

Une élégante rétrospective

 

Les plus belles robes d’Hubert de Givenchy réapparaissent le temps d’une exposition organisée par la Fondation Bolle. Les plus célèbres aussi, celles que le créateur a dessinées pour Audrey Hepburn, sa fidèle amie.

Lorsqu’en 1953, on lui annonce la visite de Miss Hepburn, le jeune couturier alors âgé de vingt-quatre ans pense rencontrer la star internationale Katharine Hepburn qu’il admirait. Mais la jeune femme qui se présente à son atelier n’est autre qu’Audrey Hepburn, une ravissante actrice encore méconnue, à l’allure tropézienne en pantalon corsaire et t-shirt. L’œil du créateur tombe sous le charme de cette beauté atypique, si différente des stars en vogue. Chaussée de ballerines, la taille ultra fine, elle est aussi gracieuse qu’une danseuse étoile, sa première ambition.

Pour son prochain film Sabrina, elle recherche d’urgence une vingtaine de tenues. Les capacités de confection de son atelier étant limitée, Givenchy commence par refuser. Comme tant d’autres, il s’émeut devant cette femme-enfant irrésistible, bien décidée à le convaincre « faites ce que vous pouvez mais j’aimerais que ce soit vous qui m’habilliez »

Devenue star internationale, elle exigea d’être habillée par Givenchy dans tous ses films. On se souvient de la somptueuse robe bustier, brodée d’une guirlande de fleurs, portée dans Sabrina où elle tourbillonne dans les bras de William Holden, ou de la robe mythique du film oscarisé « Breakfast at Tiffany’s », la plus célèbre de la maison, un fourreau de soirée en satin noir, au dos subtilement dénudé et orné de cinq rangs de perles, un chic inimitable. « C’est lui qui m’a donné un look, un genre, une silhouette. C’est lui qui, visuellement, a fait de moi ce que je suis devenue » dira la star avec cette belle modestie qui lui ressemble.

Givenchy compta parmi ses célèbres clientes Liz Taylor, Jean Seberg, Brigitte Bardot, Jacqueline Kennedy… un beau palmarès. Il reconnaît pourtant que l’amitié qui l’a lié à Audrey Hepburn est unique, jamais il n’a eu « une telle complicité avec quiconque. » Audrey est une véritable icône, omniprésente et inspirante. L’admiration est réciproque et dura jusqu’au dernier jour de l’actrice disparue prématurément, même au-delà « elle est toujours présente dans mon cœur, il en sera toujours ainsi ».

Le magnifique catalogue de l’exposition « Audrey Hepburn & Hubert de Givenchy : une élégante amitié » réalisé avec la complicité du grand couturier présente une galerie de dessins et photos de ses sublimes créations, annotés d’anecdotes intimes et révélatrices d’une belle amitié.

Ann Bandle

Exposition « Audrey Hepburn & Hubert de Givenchy. Une élégante amitié »
Jusqu’au 17 septembre 2017 sur trois sites :
Musée Alexis-Forel
Château de Morges

Ils ont fait l’histoire… en bandes dessinées

Découvrir les épopées chevaleresques des plus grands personnages historiques sous les crayons affûtés de dessinateurs talentueux, c’est l’idée originale des Editions Glénat.

Avec la complicité d’historiens, scénaristes et dessinateurs, les grands disparus de notre planète, entendez ceux qui ont marqué l’histoire, reprennent vie : Charlemagne, Jeanne d’Arc, Louis XIV pour n’en citer que quelques-uns.

Chaque album illustre un personnage célèbre, vous l’avez compris, avec une précision qui ne laisse rien au hasard. Atmosphères, lieux, dialogues, tout est là minutieusement reproduit et micro-détaillé pour nous immerger dans les pérégrinations courageuses de nos précurseurs. Une alternative séduisante pour les réfractaires aux volumes encyclopédiques ou les amateurs de BD tout simplement.

Martin Luther en bande dessinée

Tout juste sorti de presse, le dernier de la série propose un retour au début de l’époque moderne. Consacré au réformateur Martin Luther, il raconte en quelque cinquante pages passionnantes les prémices du protestantisme et l’influence des religions en politique.

Peu d’hommes ont laissé autant de documents nous rappellent les auteurs. « Son renom ne doit rien à ses origines, mais il s’explique à son succès d’auteur le plus lu à son époque ». Après Luther, d’autres théologiens tels que Jean Calvin et Ulrich Zwingli ont à leur tour contribué à la Réforme. Ils sont à l’origine d’un bouleversement sans précédent dans l’histoire de l’Europe avec des répercussions non seulement dans le domaine religieux, mais aussi politique, économique et social, dont on parle jusqu’à nos jours…

Ann Bandle

Scénario : Olivier Jouvray
Historien : Matthieu Arnold
Dessin : Filippo Cenni
Couleur : Alessai Nocera
Editions Glénat / Fayard – 2017

Histoire Vaudoise

Revivre l’histoire fascinante du plus grand canton romand, c’est l’invitation que nous lancent les auteurs de l’ouvrage « Histoire Vaudoise ».

Près de six cents pages et une iconographie souvent inédite restituent la métamorphose du Pays de Vaud depuis la Préhistoire à nos jours. Voilà plus d’un quart de siècle qu’aucun ouvrage de cette ampleur n’avait été publié sur le canton. Si l’attrait pour l’histoire régionale semble avoir disparu, nul doute que ce très beau livre va raviver la curiosité pour les épopées historiques. Ses vingt chapitres magnifiquement illustrés révèlent des aspects jusqu’ici méconnus et rendent hommage à la recherche menée au cours de ces dernières années.

Au fil des pages, les regards croisés des historiens sur l’économie, la politique mais aussi la culture et l’architecture reconstruisent le passé dans toute sa diversité. Notamment celui de Roger Francillon qui nous livre un savoureux portrait du Vaudois, « moins français et effacé que le Genevois, moins bourguignon que le Neuchâtelois, moins allemand que le Fribourgeois, moins savoyard que le Bas-Valaisan, il est davantage lui, relativement à tous ceux-là… » sous la plume de l’écrivain et poète Juste Olivier. C’est précisément à cette même époque, en 1837, que Sainte-Beuve est invité pour donner son fameux cours sur l’abbaye du Port-Royal à l’Académie de Lausanne.

Le chapitre remarquable dédié à l’architecture passionne tout autant. A la fin du 19e siècle, de prestigieux bâtiments sont érigés à Lausanne, l’Hôtel des Postes, fleuron de la place Saint-François, le Palais de Rumine, la nouvelle gare de Lausanne, l’hôtel du Beau-Rivage… toutes ces somptueuses constructions rehaussent l’éclat de la ville et attirent les touristes. Il ne reste hélas qu’une photo pour apprécier le majestueux hall central du Grand magasin Innovation démoli dans les années cinquante. Mais l’histoire s’envole emportant notre passé.

A l’heure des avancées technologiques fulgurantes, où l’actualité est omniprésente, se plonger dans les sources historiques promet aussi de belles découvertes… pour l’avenir !

Ann Bandle

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Histoire Vaudoise
Editions Infolio et Bibliothèque Historique Vaudoise
Olivier Meuwly, directeur scientifique de la publication

 

Damier pour la culture franco-suisse a partagé un lien.

 

 

 

Ferdinand Hodler au-delà des Alpes

hodler1908A découvrir au Musée Marmottan Monet, une vingtaine d’œuvres majeures de Ferdinand Hodler prêtées par des collectionneurs privés. Des paysages lumineux peints durant les vingt dernières années de sa vie.

Peindre l’impossible, la transparence de l’eau, la douce ondulation des vagues, l’éclat de la neige, le ciel voilé, une mer de brouillard, esquisser le silence, la sérénité de l’aube… sont autant de difficultés  qui en auraient effrayé plus d’un. Pas Ferdinand Hodler.

De tous les artistes de son époque, il fut le premier à relever le défi de peindre la montagne, la reproduire avec son écrasante immensité sur la surface restreinte d’une toile. Hodler excelle dans les nuances subtiles et bleutées, les reflets dorés du coucher de soleil. A force d’admirer la nature, son âme s’en émut profondément « et l’extase qui avait pris possession de son être, il nous l’a communiquée par la magie d’une évocation fixée pour l’éternité » écrira Henry Van de Velde lui rendant un ultime hommage lors de sa disparition en juillet 1920.

Les dernières années de sa vie, c’est assis à la fenêtre de son appartement Quai du Mont-Blanc à Genève où la maladie le retient, qu’il continuera à saisir inlassablement le paysage pour nous restituer sa puissante beauté.

Hodler Monet Munch

L’exposition « Peindre l’impossible » du Musée Marmottan Monet à Paris présente pour la première fois les œuvres de Ferdinand Hodler intimement liées à celles de Monet et Munch. Pas vraiment contemporains, les trois peintres ne se sont jamais rencontrés. En revanche, ils ont vécu la même période historique, celle de la transition entre le 19ème siècle et l’époque moderne. Représenter le monde, la nature et ses paysages, une même conviction pour ces précurseurs d’un style nouveau. Ils ont exercé chacun à sa manière une influence déterminante sur l’orientation de la peinture.

Ann Bandle

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Du 15 septembre 2016 au 22 janvier 2017
Musée Marmottan Monet
2, rue Louis-Boilly – Paris 16ème

Dès le 3 février et jusqu’au 11 juin 2017
En Suisse, au Musée Gianadda à Martigny

 

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Corinne ou l’Italie, le roman-fleuve de Germaine de Staël

corinneTout commence par une rencontre fortuite à Rome. Celle de Corinne, poétesse admirée pour sa plume, et d’Oswald, lord anglais de passage dans la ville éternelle.
La fascination est immédiate. L’esprit et la grâce de Corinne sont irrésistibles, Oswald tombe éperdument amoureux. Hélas, son père s’oppose au mariage. S’ensuit un dénouement rocambolesque qui tient le lecteur en haleine… pendant plus de six cents pages.

Bien que l’héroïne « Corinne » ne soit pas née dans l’esprit de Germaine de Staël en Italie, mais à Weimar alors qu’elle assistait à une représentation de La Saalnix, l’ambiguïté du titre laisse songeur. Faut-il voir dans Corinne ou l’Italie un guide de voyage ou l’histoire d’une femme ? Michel Delon, professeur de littérature à l’Université Paris-Sorbonne et spécialiste du siècle des Lumières, nous répond :

Michel Delon : Le personnage de Corinne est une allégorie ou un symbole de l’Italie, l’histoire de sa vie de femme et de créatrice sert à s’interroger sur le destin d’un pays qui a été essentiel dans le devenir de l’Occident et qui, au tournant du XVIIIe au XIXe siècle, est morcelé et occupé par plusieurs puissances étrangères.

Corinne mène une vie de femme libre et indépendante. La société italienne était-elle plus permissive que celle des pays voisins ?

Michel Delon : L’Italie est alors un pays marqué par l’emprise catholique et n’a rien de permissif, mais des coutumes comme celle du sigisbée troublent les voyageurs qui ont des difficultés à interpréter ces couples à trois. Corinne représente l’Italie, mais elle est britannique par son père, elle a fui en Italie et la liberté qu’elle revendique est plutôt une conquête personnelle.

La musique italienne, écrit Germaine de Staël, est  « …de tous les beaux-arts c’est celui qui agit le plus immédiatement sur l’âme… » au-delà des mots ?

Michel Delon : Corinne est poétesse et musicienne, elle improvise sur son luth. À la différence des arts plastiques qui s’adressent à la sensualité, la musique serait un art spirituel qui parlerait directement à l’âme sans pouvoir être traduite en mots ni en images.

Comment expliquez-vous la fascination qu’exerce Germaine de Staël près de deux cents ans après sa disparition ? 

Michel Delon : Nous redécouvrons aujourd’hui Germaine de Staël comme une femme qui a voulu concilier vie personnelle et vie publique, création artistique et engagement, passions amoureuses et réflexion intellectuelle, mais aussi libéralisme économique et cohésion sociale.

Réalisé par Ann Bandle pour les Rencontres de Coppet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Littérature romande, toute une histoire

200px-rodolphe_toepfferA la fois chef-d’œuvre et ouvrage de référence, « Histoire de la littérature de la Suisse romande » se lit aussi aisément qu’un roman. Cette nouvelle édition rassemble les quatre tomes édités entre 1996 et 1999, épuisés depuis longtemps, et intègre plus d’une centaine de jeunes auteurs tels que Noëlle Rivaz, Blaise Hofmann ou encore Joël Dicker.

A l’origine de ce travail gigantesque, Roger Francillon, professeur émérite de littérature française à l’Université de Zurich et fervent défenseur des lettres romandes. Depuis plus de trente ans, il ressuscite les auteurs romands, trop vite oubliés. Invité récemment par la Société de lecture, il a présenté quelques pépites, pimentant son récit d’anecdotes.

Pour commencer, le Genevois Rodolphe Töpffer qui connut un succès considérable de son vivant. Grâce à la dot de son épouse, Töpffer fonde un pensionnat pour garçons à Genève, étrangers pour la plupart. Ce pédagogue inventif partage avec ses élèves sa passion pour le théâtre, la littérature, mais aussi les randonnées pédestres. A la belle saison, les cours se poursuivent en pleine nature. On esquisse les reliefs du paysage, on note ses impressions… Ainsi sont nés les Voyages en zigzag qui nous ont tant charmés par leurs pages délicates et sensibles.

Rousseau, modèle littéraire des auteurs romands

Interrogé par Sainte-Beuve, Töpffer aurait confié avoir pour modèles littéraires de nombreux auteurs et plus particulièrement Rousseau « bien que le personnage et son œuvre n’aient pas été très appréciés au 19e siècle » rappelle Roger Francillon et qu’au-delà de ces ostracismes « il me paraît capital de voir dans Rousseau et précisément dans La Nouvelle Héloïse, Les Confessions ou Les Rêveries, le modèle incontournable de la genèse littéraire de Töpffer à Pourtalès ».

Dans la Revue des Deux Mondes, Saint-Beuve relève que « Monsieur Töpffer est de Genève, mais il écrit en français, en français de bonne souche et de très légitime lignée, il peut être dit un romancier de la France » avant de poursuivre « c’est une étrange situation que celle de ces écrivains qui, sans être Français, écrivent en français au même titre que nous… ».

Le monumental journal intime de Henri-Frédéric Amiel

Contrairement à Töpffer, Henri-Frédéric Amiel ne peut se targuer d’avoir conquis un lectorat. Dans son mémoire, il défend la naissance d’une littérature romande indispensable pour se démarquer fondamentalement de l’esprit français qu’il critique sans détour « D’un bout à l’autre de l’histoire de France, on retrouve ces traits de caractère national qui sont l’irréflexion et l’incapacité des Français à appréhender la réalité dans son unité ». D’autres avant lui ont relevé la superficialité des Français comme Rousseau ou Bridel. Cette méfiance envers la France et sa politique de grande Nation sont le corollaire de l’amour pour sa patrie analyse Roger Francillon. Cela dit, les poèmes et publications d’Amiel n’ont guère été appréciés à l’exception de son journal intime, un monument de 16900 pages publiées posthume et que l’Europe entière applaudit jusqu’à Tolstoï. Les dernières années de sa vie, Tolstoï ne lisait plus que deux livres, le Nouveau Testament et le Journal intime d’Amiel.

L’invasion de la modernité

Toujours avec verve, Roger Francillon nous fascine encore en relatant les souvenirs d’enfance de  Philippe Monnier. Dans ses récits de la fin du XIXe siècle, Monnier évoque la campagne perdue, la disparition des métiers, l’invasion de la modernité… cela fait sourire. Puis, il enchaîne par quelques mots sur notre grand poète, écrivain et photographe vaudois Gustave Roud, et d’autres écrivains tout aussi talentueux Henri de Ziegler, Charles Ferdinand Ramuz… Mais le temps file et Roger Francillon nous quitte déjà sous un tonnerre d’applaudissements. Retrouvez-le et tous les auteurs romands dans cette magnifique encyclopédie.

Ann Bandle

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Editions ZOE – 1728 pages

 

La misère du cœur de Benjamin Constant

41w0XsAkRTL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_Il y a deux cents ans paraissait Adolphe de Benjamin Constant.  L’œuvre raconte la vraie misère du cœur humain. C’est du moins ainsi que son auteur l’a définie. Après avoir courtisé avec assiduité Ellénore, une belle polonaise, Adolphe est pris au piège de sa liaison étouffante « y rencontrant encore du plaisir mais n’y trouvant plus de charme. » Or que faire contre un sentiment qui s’éteint.

Malgré les reproches mutuels, les scènes parfois violentes, il ne parvient pas à rompre car rien n’altère l’amour que lui porte Ellénore. Tandis qu’il la délaisse, elle s’attache de plus en plus jusqu’à en perdre la raison. Au bord de l’abîme, elle sombre dans un délire sans retour « elle voulut pleurer, il n’y avait plus de larmes; elle voulut parler, il n’y avait plus de voix…». Une fin tragique pour cette histoire à l’apogée du romantisme, qui nous rappelle celle de l’héroïne Corinne de Germaine de Staël.

Aujourd’hui encore, on s’interroge sur la part autobiographique du roman. François Rosset, professeur et ancien doyen de la Faculté de lettres de l’Université de Lausanne, nous éclaire sur certaines mésinterprétations :

Photo_SiteQuelles sont les femmes qui ont inspiré à Benjamin Constant le caractère d’ « Ellénore » ? Mme de Staël dit se reconnaître…

François Rosset : La première chose à dire à propos d’Adolphe mais aussi de Corinne, c’est que ce sont des romans, des œuvres littéraires, c’est-à-dire des univers de récréation; ce ne sont pas des chroniques mondaines, ni non plus des transpositions autobiographiques simplistes. Germaine de Staël n’est ni plus, ni moins présente dans le filigrane du personnage d’Ellénore que les autres femmes que Benjamin Constant a rencontrées, désirées et aimées ou que certaines figures féminines de fiction qu’il a rencontrées dans ses lectures. Mais c’est une chose que le public, gavé de « peopleries », a beaucoup de peine à comprendre; et c’était déjà le cas à l’époque. C’est pourquoi, si Germaine de Staël s’est offusquée, ce n’est pas tant à la lecture du roman de Constant qu’elle connaissait très bien, mais à cause des ragots qui ont commencé à circuler à la publication d’Adolphe en 1816 et qui l’identifiaient à Ellénore. Elle n’était pas seulement touchée personnellement par ces interprétations triviales, mais aussi en tant qu’écrivaine, déçue de la mécompréhension qui affecte trop souvent les œuvres littéraires.

Lors des lectures d’Adolphe, les femmes ont littéralement fondu en larmes. Le roman est-il révélateur des tourments relationnels de l’époque ? 

François Rosset : Les larmes sont une forme d’expression omniprésente dans le champ littéraire et social de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Elles sont le signe, l’extériorisation de la sensibilité, non pas une marque de sensiblerie comme on aura tendance à les interpréter plus tard. Si des femmes (mais aussi des hommes) ont pleuré en assistant à des lectures publiques d’Adolphe ou dans l’intimité de la lecture personnelle, il n’y a rien d’extraordinaire. Ce qui est intéressant, c’est que des témoins aient relevé explicitement ces torrents de larmes. Il faut d’abord y voir le signe que le texte touchait les contemporains et que la réponse « sensible » des lecteurs ou des auditeurs trouvait à s’exprimer par ce langage-là. C’est moins une affaire de « tourments relationnels » qui seraient plus ou moins intenses à une époque donnée qu’une affaire de formes d’expression des affects humains. Et à cette époque, les larmes sont particulièrement opératoires dans ce sens.

Les héroïnes « Corinne » de Germaine de Staël et « Ellénore » de Benjamin Constant ont toutes deux une fin tragique. Un dénouement heureux pour les amants aurait-il été contraire aux mœurs ?   

François Rosset : Comme cela a déjà été dit, nous avons avant tout affaire à des œuvres littéraires ambitieuses, écrites à une époque où la hiérarchie des genres est encore solidement ancrée dans le modèle classique; là, la tragédie et le tragique sont les plus valorisés. Un dénouement heureux pour ces œuvres aurait peut-être contenté des lecteurs naïfs, mais il aurait surtout eu pour conséquence de saboter le projet esthétique de ces œuvres. On parle de Germaine de Staël, pas de Barbara Cartland!

Ces deux romans ont-ils été écrits pour surmonter les déceptions amoureuses de leurs auteurs en se libérant de sentiments douloureux sans pour autant se dévoiler ?

François Rosset : On ne doit évidemment pas négliger la part d’autothérapie que tout écrivain place dans son activité créatrice, mais on aurait tort aussi de réduire ces deux œuvres complexes et magnifiques à des histoires d’amours malheureuses. L’investissement que leurs auteurs y ont placé ne concerne que pour une part (pas forcément principale selon moi) la question des sentiments contrariés ou des malheurs de cœurs mal ajustés. Il y a, dans Adolphe, une réflexion d’une acuité impitoyable sur la puissance et les méfaits potentiels du langage, alors que Corinne déploie tout l’éventail des préoccupations politiques, sociales, anthropologiques artistiques et culturelles de Germaine de Staël. Au reste, à supposer qu’on puisse connaître de façon fiable le projet réel de ces deux auteurs, il faudrait toujours ajouter que les grandes œuvres sont grandes justement parce qu’elles dépassent leur projet.

Benjamin Constant s’est-il décrit dans certains traits de personnalité d’Adolphe ?

François Rosset : Là, il est possible de répondre affirmativement à la question. Mais le personnage d’Adolphe ne ressemble pas à Constant en tant qu’amant cruel par son indécision, ses atermoiements, ses maladresses, son égocentrisme, mais, plus généralement, en tant que cet homme tourmenté par sa propre fragilité, les contradictions de ses affects, l’inconséquence de ses agissements. Toute son œuvre intime est une longue série de variations sur ce motif; et cette instabilité concerne aussi bien la vie amoureuse que certains projets intellectuels, sans cesse recommencés (comme l’immense ouvrage sur la religion) ou la forme des engagements politiques (non pas le fond d’idées, qui, lui, est stable).

Pour en savoir plus : Conférence de François Rosset le mardi 6 septembre 2016 à 20h00 «L’orage perpétuel : Corinne de Germaine de Staël et Adolphe de Benjamin Constant » au Château de Coppet – entrée libre, inscription recommandée

Interview réalisé par Ann Bandle pour Les Rencontres de Coppet

Le silence de Jeanne

16061710034998181-1Dans son premier roman « Jeanne», Véronique Timmermans alterne deux histoires étroitement mêlées. Celle de Jeanne bouleversée par son coup de foudre inavouable pour un prêtre et celle de sa fille, Catherine, en quête de vérité. Mais comment réagir face au silence de Jeanne sur son passé? L’auteure soulève la délicate question de la transmission des souvenirs intimes d’une génération à l’autre. Un livre tout en émotion et en profondeur. Interview.

Damier : L’écriture de ce premier roman marque-t-elle un tournant dans votre vie? 

Véronique Timmermans: Oui, certainement. En apparence, ma vie est presque inchangée, je partage mon temps entre travail salarié, écriture, famille, amis et loisirs, comme tout le monde. Je commence seulement maintenant, quelques mois après la parution de «Jeanne», à pouvoir mettre des mots sur ce qui a changé: au plus profond de moi, la joie intense d’avoir accompli un de mes rêves, celui d’être lue, peut-être le rêve qui compte le plus; la prise de conscience combien l’écriture est une part fondamentale de moi, combien l’écriture m’aide à comprendre le monde qui m’entoure. J’ai l’impression que je suis plus moi qu’avant.

Damier : L’héroïne  « Jeanne » est-elle née de votre imaginaire?

Véronique Timmermans: Oui et non. Ma mère s’appelait Jeanne. Elle est décédée il y a quatre ans, subitement, dix-sept ans après mon père, également mort subitement. Je n’ai jamais bien connu la jeunesse de mes parents, mais on m’avait raconté quelques éléments de leur rencontre, et la mort de ma mère m’a mise en face du fait qu’il n’y avait plus personne pour me parler de qui était mes parents, et surtout ce qu’ils avaient vécu jeunes. De plus, mes parents étaient belges, flamands plus précisément, et j’ai grandi dans le sud de la France. A mes yeux, ils étaient exotiques. Avec «Jeanne» j’ai voulu partir de quelques éléments biographiques et recréer la jeunesse et la vie d’un homme et une femme qui auraient pu être mes parents, en tissant intimement biographie et imaginaire.

Damier : Quel événement vous a inspiré l’amour interdit entre un prêtre et une jeune fille?

Véronique Timmermans: C’est un fait peu connu, mais la Belgique a vécu, dans les années 50-60, une grande vague de défections de prêtres. Peut-être en a-t-il été de même dans d’autres pays Européens, je ne le sais pas.  J’ai rencontré un témoin de ces défections, qui est d’ailleurs toujours prêtre: le tragique qu’ont vécu ces hommes est indicible. Dans la Belgique catholique et stricte de l’époque, remettre en question sa vocation était impensable, un tabou. Mon propre père m’a appris, assez tardivement, qu’il avait été prêtre et avait choisi de quitter la prêtrise par amour, et j’ai voulu mieux comprendre en l’écrivant comment on peut vivre un amour impossible. Un autre aspect m’a aussi beaucoup intéressé, c’est la place d’un amour impossible qui devient secret de famille: quel adulte devient-on quand on hérite inconsciemment d’un tel secret. Je n’ai pas fini d’explorer cette question!

Damier : La relation mère-fille décrite dans le roman montre à quel point les mœurs ont évolué d’une génération à l’autre. Est-ce le reflet de votre propre expérience?

Véronique Timmermans: Oui, les mœurs évoluent, et depuis la nuit des temps chaque génération vieillissante s’émeut et pousse des hauts-cris face aux mœurs des jeunes. Pour ma part, ma mère était très indépendante et peu conventionnelle, elle poursuivait ses passions et intérêts, choisissait ses amis, et refusait de faire ce qui ne lui convenait pas. En cela elle était plutôt un modèle. Dans la relation mère-fille de «Jeanne» l’irritation de la fille vis-à-vis de sa mère est omniprésente. Cette irritation est née pour une bonne part des différences générationnelles que l’on sait. J’ai trouvé intéressant d’explorer comment cette irritation pouvait murir, devenir autre chose, au contact avec sa propre vie, un amour naissant par exemple. La relation mère-fille est en constant déplacement.

Damier : Pourquoi avoir choisi la ville de Gand, avez-vous des attaches en Belgique?

Véronique Timmermans: Ma mère a grandi et vécu à Gand, et j’aime beaucoup cette ville, à la fois majestueuse, familière et étrangère. J’y ai fait il y a deux ou trois ans un court séjour pour mieux m’en imprégner, et j’ai la chance d’avoir eu pour guides des amis assez âgés pour pouvoir décrire le Gand de l’après-guerre, ses multiples couvents, façade, marchés. Beaucoup des places de la ville ont le nom d’un marché: « marché aux poissons », « marché aux fleurs », »marché aux grains » etc. Le nom des vieilles rues et place en dit long sur la vie marchande, artistique et religieuse des siècles passés. Les boulangeries, aussi, sont extraordinairement inspirantes. Observant le visage et les manières des passants dans les rues de Gand, je me suis dit: je viens d’ici.

Damier : La fin de l’histoire qui laisse entendre que l’on se retrouve dans l’au-delà est particulièrement émouvante, est-ce une certitude pour vous?

Véronique Timmermans: Est-ce possible d’avoir une telle certitude? Je ne sais pas. Mais je crois que certaines personnes se retrouvent, oui. Certains liens ne périssent pas. Et j’aimerais beaucoup, au moment de ma mort, avoir l’espérance de retrouver les êtres aimés, disparus ou pas, et aussi transmettre cette espérance à ceux qui me perdent.

Jeanne, de Véronique Timmermans  – Editeur : Plaisir de Lire

Portrait

Photo VT_2016Née en Suisse d’un père philosophe et une mère artiste, Véronique Timmermans a grandi dans le cadre somptueux de la Provence. Bien qu’attirée par les Lettres, elle opta pour des études de sciences, qui l’amenèrent à un premier travail à Paris, dans une entreprise pharmaceutique, puis à San Francisco, au cœur de la Silicon Valley technologique. Revenue en Europe après plus de huit ans en Amérique, elle vit depuis en Suisse, avec son mari et leurs enfants. Outre l’appel de l’écriture, qu’elle s’est enfin permis d’écouter, elle travaille aussi dans les technologies médicales.

 Entretien réalisé par Ann Bandle

Louis-Auguste Brun, retour au Château de Prangins

IMG_1917Peintre, collectionneur, marchand d’art, homme politique, l’exposition « De Prangins à Versailles » retrace la  trajectoire de Louis-Auguste Brun (1758-1815).  A l’âge de vingt-trois ans, cet ami de la famille Guiguer du Château de Prangins quitta la Suisse pour s’ouvrir à de nouveaux horizons.

Grâce à son talent, il réussit à pénétrer le cercle très fermé des peintres de la Cour de Versailles, participa aux folles chevauchées de la dauphine à Fontainebleau et aux Bois de Boulogne. Deux toiles de Marie-Antoinette à cheval et une centaine de portraits et dessins illustrent cette période de gaieté, d’insouciance, et d’élégance. La rétrospective que lui consacre le Château de Prangins restitue l’œuvre de l’artiste dans ce lieu qu’il fréquenta. A voir absolument jusqu’au 10 juillet 2016.

Elisabeth Greffulhe, la vraie duchesse de Guermantes

UnknownElle fut et restera la plus élégante comme en témoigne une récente exposition au Palais Galliera des robes de la comtesse Greffulhe, véritables trésors de la haute couture parisienne. Griffées Worth, Lanvin, Babani ou Soinard, elles ont contribué à la fascination exercée par celle qui inspira à Proust la duchesse de Guermantes.

Des tenues audacieuses, taillées dans des tissus précieux, qui dénotent son désir d’extravagance. Certains modèles, tels ce manteau de jour créé par Jeanne Lanvin en 1936 en satin de soie avec ses manchons et poches en fourrure, ou la robe noire dessinée par Vitaldi Babani en 1925 brodée de fils de soie verts et or, ont survécu aux courants de la mode et sont toujours d’actualité.

Tout le mystère est dans l’éclat

Immensément belle, élégante et gracieuse, ses apparitions suscitaient l’émoi, une figure de reine du monde comme il ne s’en trouve jamais que fort peu dans une génération écrira Emile Herriot. Photographiée inlassablement par Paul Nadar, Proust remua ciel et terre pour s’approprier quelques clichés. Subjugué, il alla des dizaines de fois à l’opéra pour le seul plaisir de la voir note-t-il dans son cahier de brouillon. Tout le mystère est dans l’éclat, dans l’énigme surtout de ses yeux. Je n’ai jamais vu une femme aussi belle… Elle sera l’héroïne de son œuvre « A la recherche du temps perdu ».

Les grandes auditions musicales de Greffulhe

Au-delà de son incontestable beauté, Elisabeth Greffulhe est brillante, une femme d’esprit, passionnée de musique. Elle est à l’origine de la création de la Société des grandes auditions musicales, en assura la présidence et le financement grâce à ses prestigieuses relations. On lui doit l’organisation du concours international de musique sous le patronage du prince Albert 1er de Monaco, la programmation de chefs-d’œuvre inédits ou rarement entendus en France, qui furent un immense succès, et l’émergence de nouveaux talents.

Sans aucun à priori, elle recevait chez elle à la rue d’Astorg diplomates, ministres et célébrités de la Belle Epoque… Clémenceau, Briand, Poincaré, le roi Carlo du Portugal, les princes d’Orléans, Léon Blum, Pierre et Marie Curie… dans l’ambiance féérique des six cent mètres de salons en enfilade aux parfums vaporeux de jasmin et de roses.

Séjours à Genève, à l’Hôtel de l’Écu

Ses fréquents voyages l’amenèrent le plus souvent en Suisse. Elle séjournait à l’Hôtel de l’Ecu, place du Rhône à Genève, ou au Château de Coppet chez ses amis le Comte et la Comtesse d’Haussonville avant de poursuivre sa route le long de la Riviera vaudoise. C’est aussi en Suisse qu’elle choisit de passer les dernières années de sa vie pour le bien de sa santé. Cette amie des arts ferma définitivement ses beaux yeux à Genève après avoir tenu pendant plus d’un demi siècle l’un des salons les plus brillants de Paris.

Pour en savoir plus :

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Ann Bandle

Emile de Ribaupierre, une vie en musique

de-ribaupierre-emileLa récente monographie publiée par Antonin Scherrer retrace les grands moments de la vie d’Emile de Ribaupierre, musicien passionné, violoniste et pédagogue dans l’âme. Récit d’un engagement musico-pédagogique exceptionnel.

Dans la famille de Ribaupierre, issue d’illustres seigneurs alsaciens, la vie est embellie par la musique et le parfum des roses. Cultivées par son père horticulteur, Emile de Ribaupierre hérite de cette même passion infinie pour la plus élégante des fleurs. Des roses à profusion, qui subliment sa maison, ses salles de musique, toujours à proximité, allant jusqu’à leur rendre hommage par la création des célèbres « Auditions des Roses ».

Un esprit entrepreneur

Par la multiplicité de ses talents, Emile de Ribeaupierre nous fascine. Il est tout à la fois violoniste, compositeur, chef d’orchestre et pédagogue, mais aussi entrepreneur. Avec sa sœur Mathilde, il fonde les Conservatoires de Montreux et de Vevey, et l’Institut de Ribaupierre à Lausanne. Dans la foulée, il forme l’Orchestre de Montreux dont il sera directeur et chef d’orchestre « je voulais que les élèves de mon école puissent avoir un contact symphonique, qu’ils aient la possibilité d’apprendre le métier de musicien appelé à jouer dans un grand ensemble…voyez en moi un pédagogue ». Un pédagogue attentif à la diversité des dons de l’esprit et des aptitudes de ses élèves « il n’y pas de méthode unique, il faut être souple et inventif pour trouver le moyen le plus efficace pour chaque cas » toujours à l’affût de la technique qui aidera chacun à progresser. Sa pédagogie vivante et innovante, qu’il enseigna jusqu’à la fin de sa vie, accompagna l’émergence de nombreux musiciens.

Excursions dans les Alpes, violon sur le dos

Formé lui-même dès son plus jeune âge par le talentueux Ladislas Gorski, violoniste polonais, Emile de Ribaupierre se souvient d’avoir escaladé les montagnes, violon sur le dos, profitant de la beauté de la nature pour travailler ses gammes sous l’œil exigeant de son maître, ou improviser au gré de l’humeur. Il aura vécu les années glorieuses de la Riviera vaudoise. Celles des concerts-promenade, des musiciens vêtus de blanc, des hôtels luxueux où se pressaient artistes, écrivains et musiciens trouvant sur les bords du Léman une source d’inspiration stimulante. Tchaïkovski y écrit l’essentiel de son Concerto pour violon, Stravinski, Paderewski pour ne citer qu’eux, apportent une émulation créatrice et contagieuse.

Les photos emblématiques qui illustrent ce bel ouvrage nous ramènent à une époque révolue, non sans un sentiment nostalgique.

Ann Bandle

A lire : « Emile de Ribaupierre – Une famille au service de la musique » par Antonin Scherrer paru aux Editions Infolio.

«Musiciens d’autrefois» de Romain Rolland réédité

Romain_Rolland,_Meurisse,_1914Plus d’un siècle après sa parution, Actes Sud réédite Musiciens d’autrefois, un ouvrage qui expose une autre face de Romain Rolland, celle du musicologue. Excellent pianiste, sa passion pour la musique marquera son œuvre.

Après avoir publié Les origines du Théâtre lyrique, Histoire de l’Opéra en Europe avant Lully et Scarlatti, Vie de Beethoven, il s’est penché sur l’évolution de la culture musicale et ses formes dramatiques aux XVIIe et XVIIIe siècles. La réédition récente de Musiciens d’autrefois remporte le Prix des Muses.

Prix Nobel de Littérature (1916), Romain Rolland a lancé en France la vogue des romans cycles avec les dix volumes de Jean-Christophe. Il perd dès le début de la grande guerre son cher ami Charles Péguy. Rolland est alors en Suisse, où il a pris l’habitude de séjourner presque chaque année depuis 1882. Pour garder sa liberté et se mobiliser au service du pacifisme, il décide de rester en pays neutre. Jusqu’en juillet 1915, il travaille bénévolement pour l’agence des prisonniers de guerre à Genève. En novembre 1915, il publie plusieurs articles en faveur de la paix, réunis sous le titre Au dessus de la mêlée. Un plaidoyer pour la réconciliation future de l’Allemagne et de la France, qui lui vaut autant d’admiration (un prix Nobel), que de critiques et d’inimitiés. Avec la paix revenue, Rolland tente un retour en France en 1919 mais regagne vite la Suisse pour s’établir à Villeneuve en 1922. Sur la Riviera, il reçoit Stephan Zweig avec il correspond pendant près de trente ans, mais aussi Gandhi, Tagore, Gide, Istrati. Avec eux il rêvera de refaire le monde pour tenter de tirer les leçons de la grande guerre et d’en éviter une nouvelle.

La Littérature du Nord : Goethe et Mme de Staël

9782213654515FSEntretien avec Jacques Berchtold, directeur de la Fondation Martin Bodmer, sur l’ouvrage De l’Allemagne, publié par Germaine de Staël à l’issue de ses rencontres avec les plus grands romanciers et philosophes allemands de l’époque.


De l’Allemagne
 est-il un vaste plaidoyer en faveur de la vie culturelle germanique ?

Jacques Berchtold : Dans De l’Allemagne (1813), Mme de Staël, qui s’adresse au lectorat français, met en relation contraste les cultures respectives de la France et de l’Allemagne, en définissant leurs traits caractéristiques. Cet ouvrage revêt une importance capitale : il vise à rendre accessible à un large public français la connaissance de la littérature allemande. Le panorama offert est évidemment stylisé ; l’ouvrage donne de la pensée allemande moderne et contemporaine une certaine image partielle et partiale ! En rupture par rapport aux poncifs et préjugés conventionnels (une Germanie gothique et rugueuse), cette étude d’ensemble est sans précédent et a de toute manière le grand mérite de présenter à la patrie de Pascal, Descartes et Malebranche, une image du voisin du Nord qui détone, et notamment certains philosophes modernes très originaux (Fichte, Kant, Hegel), à côtés des dramaturges, romanciers et poètes. Bientôt l’anglophilie du 18e siècle cédera la place à un nouvel engouement pour la philosophie venue d’Allemagne.

L’estime qu’éprouvent l’un pour l’autre Germaine de Staël et Goethe naît-elle d’une certaine communion de pensée ?

Jacques Berchtold : Germaine de Staël a lu et commenté des ouvrages de Goethe et elle le rencontre à Weimar en 1804. Elle a déjà intériorisé un auteur à partir de la lecture enthousiaste de quelques-uns de ses ouvrages. Quand elle court pour le rencontrer elle s’attend à trouver un être passionné et écorché à l’image du personnage de Werther et doit déchanter sur ce point : Goethe lui apparaît comme froidement équilibré. Néanmoins elle admet volontiers que tel qu’il est, jouissant de recul et de distance par rapport à ses créations, il incarne le génie de l’Allemagne le plus accompli. Elle admire sa force imaginative qui le place au rang de Dante. Procédant volontiers de façon comparative, elle juge la conversation de son champion allemand supérieure à celle de Diderot et comprend que la scène des sorcières de Faust représente un exercice d’émulation réussi à l’égard de la scène analogue, en anglais, de Macbeth. Il n’y a pas de relation en miroir : de son côté Goethe, s’il a admiré Adolphe de Benjamin Constant, est beaucoup plus mesuré dans son appréciation de Mme de Staël.

Les réflexions de Goethe sur l’appauvrissement culturel et la disparition progressive du sens des valeurs sont-elles d’actualité dans le monde d’aujourd’hui ?

Jacques Berchtold : Goethe perçoit, dans les atermoiements de Hamlet (dans la pièce de Shakespeare), lui qui accumule des discours et retarde sans cesse l’exécution de son devoir de vengeance, la décadence d’un Occident guetté par l’exacerbation exagérée de la réflexion, au détriment du passage à l’action. De façon analogue, Faust est rencontré par le lecteur au moment où, au terme d’une portion de vie considérable vouée à l’accumulation de savoirs, il prend la mesure de l’inanité de celui-ci, de son impuissance et du fossé qui le sépare de la vie réelle. Goethe est le plus formidable puits de science qui soit mais il exprime partout sa prudence face à un optimisme béat par lequel on serait tenté (les Lumières françaises) de fonder un idéal de Progrès dans un entassement de connaissances mal encadré. Pour Goethe, le bagage culturel est un formidable outil qui permet de mieux comprendre la complexité des enjeux des mutations en cause dans la réalité politique et sociale la plus contemporaine. Goethe nous invite à ne pas perdre cette richesse et au contraire à l’accroître en comprenant mieux le prix des passerelles culturelles par lesquelles les littératures des différentes nations et des différentes langues, communiquent entre elles : si elles sont prises en compte, les diversités culturelles font la preuve qu’elles enrichissent un tout unitaire commun (Weltliteratur) et nous aident à explorer des voies nouvelles à leur tour efficientes.

Que vous inspire Germaine de Staël, en particulier son rôle comme femme écrivain ?

Jacques Berchtold : Mme de Staël est sans conteste une pionnière dans le domaine de la méthodologie de la curiosité et de l’interprétation littéraires. Par des ouvrages engagés et marquants, elle milite en faveur d’une approche consistant à comprendre préalablement la littérature dans le contexte de l’histoire des mentalités et de l’approche sociologique globale. Elle est sans conteste précurseur. À l’époque où elle le fait, le souci, de la part d’une Française, de réhabiliter, aux yeux des Français, les littératures du Nord, traduit un courage intellectuel qui ne doit pas être sous-estimé. De façon analogue, Goethe élargit considérablement l’horizon culturel de ses compatriotes lorsqu’il les invite à découvrir les littératures de l’Arabie, de la Perse et de l’Extrême-Orient. Mais Mme de Staël est de surcroît une femme. Dans un monde où les débats intellectuels sont traditionnellement dominés par les hommes, une « femme savante » qui revendique le droit de réfléchir, d’élaborer des ouvrages de réflexion et de participer au débat public et politique sur la culture, savait qu’elle allait rencontrer de gros obstacles. Le mépris exprimé par Napoléon et la censure qui a frappé De l’Allemagne lors de sa publication en sont des témoignages éloquents.

Portraits_JB-0428-2Jacques Berchtold Ancien élève du collège Calvin et de l’Université de Genève, il enseigna (1984-2000) la littérature française de la Renaissance au XIXe siècle dans les Universités de Berne, Genève, Yale et Johns Hopkins avant de devenir pensionnaire de l’Institut suisse de Rome. Professeur de littérature française du XVIIIe siècle à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (2001-2008), il obtient une chaire dans la même discipline à l’Université de Paris-Sorbonne (2008-2014). Il fut aussi professeur invité à Harvard en 2011. Il reçoit en 2014 la distinction, Chevalier de l’ordre des Palmes académiques.

Entretien réalisé par Ann Bandle pour Les Rencontres de Coppet

voir aussi les conférences organisées par Les Rencontres de Coppet en 2016