Archives de catégorie : EXPOSITION

Léon Spilliaert: l’alchimiste de la mélancolie

Léon Spilliaert

La Fondation de l’Hermitage réussit la gageure de rassembler près d’une centaine d’œuvres de Léon Spilliaert dans le cadre d’une rétrospective magistrale « Avec la mer du Nord ». Retour sur la vie de l’un des plus grands artistes belges, dont les pas nous mènent sur les plages d’Ostende.

Lorsqu’il évoque sa tendre enfance, Spilliaert nous laisse l’impression de jours heureux. Tout lui apparaissait si beau, si neuf, si étrange : « Je suis né à Ostende le 31 juillet 1881 d’une mère douce et mélancolique. » Un enchantement précoce qui sera brisé par une scolarité éprouvante. L’insouciance et la liberté s’éloignent : « On m’a volé mon âme et plus jamais je ne l’ai retrouvée ». De cette quête perpétuelle s’éveille une passion farouche pour le dessin. Très tôt, il s’imprègne en autodidacte des techniques des maîtres et affiche un talent incontestable. 

Ostende, port d’ancrage

Persuadé de sa vocation d’artiste – et haïssant tout ce qui est école, professeur, académie -, il travaille sans relâche et en solitaire. Chez lui à Ostende, son port d’ancrage. S’il déménage, c’est pour rester dans la ville même ou pour de brefs séjours à Bruxelles avant un inévitable retour à Ostende. Lieu d’inspiration, il y développe un style personnel, dénué de toute influence, qui le démarque de ses contemporains et réinvente le monde… sans s’éloigner de la ville qui l’a vu naître.

Avec la mer du Nord

L’esprit miné d’inconsolables tristesses, Spilliaert plonge son regard mélancolique dans la mer du Nord, celle d’Ostende naturellement. Errances nocturnes le long des plages, de l’estacade ou sur la digue. Le somnambule capte l’horizon toujours changeant pour le reproduire dans toutes ses variations. L’atmosphère est semi obscure – scènes de lumière et de drames –, à la limite de l’abstraction. Une intensité de lueurs vert azur ou bleues, travaillées en strates superposées d’une beauté infinie.

L’homme par lui-même

Ses autoportraits à différents âges de sa vie sont d’une singularité stupéfiante. Ne faisant pas mystère de son caractère tourmenté, l’artiste se montre avec des traits âpres, fiévreux, la chevelure flamboyante. Parfois, le visage défiguré par  des yeux exorbitants, comme saisi d’effroi. Il est vrai que la reconnaissance se fait attendre. Un supplice qu’il endure sans désespérer, ni lâcher ses plumes et ses crayons : « Ma pensée intime à moi, c’est que je me développerai tard, que tout ce que je fais à présent est peu de chose, en comparaison de ce qui dort encore en moi ! »

Une première exposition à Paris

Le succès arrive enfin, timide mais enivrant, entraînant dans son sillage d’autres gloires. Spilliaert expose aux côtés de Robert Delaunay et de Fernand Léger. En 1913, une exposition lui est consacrée à Paris. Hélas, l’euphorie sera de courte durée. La Première Guerre mondiale éclate… Il lui faudra patienter pour déambuler à nouveau librement sur la digue d’Ostende, reprendre ses pinceaux, et peupler la plage de la mer du Nord de silhouettes iconiques – celles des femmes de pêcheurs aux contours tout en courbes. Leur aura énigmatique s’habille de noirceur pour nous émouvoir de leur troublante mélancolie… 

Ann Bandle

Fondation de l’Hermitage
Route du Signal 2
1018 Lausanne
jusqu’au 29 mai 2023

Les impressionnistes canadiens à Lausanne

Ils et elles (très nombreuses pour une fois !) ont peint entre 1880 et 1930 les jardins du Luxembourg, les poires de Barbizon, les fleurs de Giverny mais aussi le dépanneur (l’épicier du coin) de Toronto, la cathédrale Saint Patrick de Montréal ou la découpe de la glace. Ils et elles sont les quelques 36 peintres canadiens invités par le Musée de l’Hermitage de Lausanne pour une exposition baptisée Le Canada et l’impressionnisme. Comment ces artistes ont-ils aussi bien peint avec autant d’enthousiasme et de talent les champs de coquelicots que leurs paysages enneigés du Grand Nord ?

C’est l’histoire que nous raconte en une centaine de toiles, le musée de l’Hermitage. Une saga intrigante, la réappropriation par quelques artistes venus du froid…d’une révolution picturale française de la fin du XIXe siècle, une assimilation en douceur qui permettra à la toute jeune Nation canadienne de créer sa propre peinture nationale.

« L’impressionnisme est parfaitement adapté aux paysages canadiens », explique Katerina Atanassova,  conservatrice au Musée des beaux-arts d’Ottawa et commissaire de l’exposition de Lausanne.
Dès 1880, Paris, capitale de l’art attire le monde entier.

Bohême parisienne

Les artistes nord-américains y viennent nombreux pour rejoindre l’École des Beaux-Arts de Paris, établissement public prestigieux ou les nombreuses académies privées, qui ont le vent en poupe.

L’académie Julian, l’académie Colarossi ou encore l’académie de la Grande Chaumière attirent de nombreux canadiens, dont un grand nombre de femmes que les grandes familles nord-américaines ne rechignent pas à envoyer étudier la peinture en Europe. Jeunes filles de la bourgeoisie aisée ou étudiants plus ou moins argentés, toute cette jeunesse canadienne se loge à Paris rive gauche, de préférence à Montparnasse. Un quartier où elle puise ses sujets d’inspiration : bord de Seine, atmosphères de café, fêtes populaires.

Ou encore Jardin du Luxembourg. Lieu de promenade favorite pour le jeune Paul Peel. Né à London (ville de l’Ontario située à 200 kilomètres de Toronto), ce garçon prometteur (à la carrière trop courte, il va mourir à 32 ans !), passé par l’école de Philadelphie, a installé son atelier parisien au 65 boulevard Arago.  En 1881, comme nombre de ses confrères, il va explorer la Bretagne, se poser à Pont-Aven où il puisera de nouvelles inspirations.

Au même moment, un congénère de l’Ontario, William Blair Bruce pose ses pinceaux à Paris. Il rejoint l’académie Julian. Mais il s’y sent vite à l’étroit et s’en ira prendre l’air à Barbizon, village qu’il qualifie dans ses lettres à sa famille de « pur paradis ». L’artiste y peint, les moissons, les vergers, les ruisseaux.  Plus tard, il se rendra à Giverny où il travaille en extérieur et y exécutera un de ses chefs d’œuvre, Paysage avec coquelicots.

La première impressionniste canadienne

Entretemps la peintre Frances Jones a présenté au Salon de Paris en 1883, Le Jardin d’hiver, portrait d’une femme lisant dans une véranda remplie de plantes tropicales. Une toile inspirée par un tableau d’Édouard Manet du même titre. La première toile impressionniste canadienne présentée à un public international est née !!!

Comme Frances Jones, d’autres canadiennes viennent à Paris pour parfaire leurs connaissances, Laura Muntz (ne pas rater la Robe rose, peinte en 1897 présentée dans cette exposition), Florence Carlyle, Helen Mc Nicoll, H. Mabel May entendent profit de la palette impressionniste pour saisir cette nouvelle femme de cette fin du XIXme siècle. Elles vont la représenter avec délicatesse et humanité au travail (en tisseuses ou fabricantes d’obus !) ou dans leur foyer (au piano, avec les enfants, au milieu des livres…).

Les peintres Ernest Lawson ou Maurice Cullen font eux le pèlerinage à Moret-sur-Loing, sur les traces de Sisley, Renoir et Monet. La toile « Hiver à Moret », peinte en 1895 « témoigne déjà de la capacité de Cullen tôt dans sa carrière à peindre l’atmosphère vive et pure d’une froide journée d’hiver, avant son retour au pays », poursuit Katerina Atanassova.

Autre figure marquante de la bohême canadienne à Paris, James Wilson Morrice venu de Montréal, débarque dans la ville lumière en 1890. Il suit les cours de l’atelier Julian. Il s’imposera vite comme un des peintres les plus respectés de son époque. L’État français lui achète en 1904 sa toile Quai des Grands Augustins. Morrice suit de près la révolution fauve, très ami de Matisse, il part dessiner avec lui à Tanger, au Maroc en 1911-12. Jeunesse n’ayant qu’un temps, les expatriés regagnent peu à peu leurs pénates.

Donner des couleurs à la neige !

Ainsi de retour au pays en 1895, Maurice Cullen, fera découvrir à ses compatriotes les toiles impressionnistes qu’il a réalisées en France ou en Algérie. Mais il se posera aussi en véritable animateur d’un courant impressionniste canadien made at home. Cullen continuera de travailler en extérieur comme il en avait pris l’habitude en France, et ce malgré la rigueur des hivers de sa patrie natale.

Pour saisir l’immensité des paysages de son pays, il va donner des couleurs à la neige, comme dans La Récolte de la glace, exécutée en 1913. Il inspire les jeunes artistes du Groupe des Sept de Toronto, à l’origine avec le groupe de Beaver Hall de Montréal de la peinture canadienne moderne.

L’exposition de Lausanne pousse jusqu’aux années 1920 avec les œuvres d’Emily Carr. Cette artiste née à Victoria (Colombie Britannique) en 1871, a étudié à San Francisco. En 1910, elle a fréquenté l’académie Colorassi et l’atelier Blanche en 1910. Elle va y acquérir, un style audacieux, coloré et très personnel. De retour au Canada en 1912, elle a à cœur d’illustrer la vie des premiers habitants du Canada avec leurs mâts totémiques, comme dans Gitwangak.  Pionnière dans cette démarche, elle devra attendre les années 1930 pour se voir reconnue comme une artiste majeure et devenir une des icônes de l’art canadien.

Béatrice Peyrani

Le Canada et l’impressionnisme
Nouveaux horizons

24 janvier – 24 mai 2020
Fondation de l’Hermitage | Route du Signal 2 | CH – 1018 Lausanne

Déambulation artistique à travers la Suisse

Albert Anker, Ferdinand Hodler, Félix Vallotton, ou encore Robert Zünd, Benjamin Vautier…, la Fondation Pierre Gianadda met à l’honneur l’art pictural helvétique. Un ensemble de cent vingt-sept chefs-d’œuvre reflétant les paysages immaculés et les scènes de vie d’une autre époque.

« Je voudrais reconstituer des paysages sur le seul secours de l’émotion qu’ils m’ont causée… » écrit Félix Vallotton dans son journal. Et c’est bien l’émotion qui a aussi dicté les choix de Christoph Blocher. La quintessence de sa stupéfiante collection – et autant de coups de cœur – est présentée au musée de Martigny, dont plusieurs œuvres rarement ou jamais montrées auparavant.

Parmi celles-ci, un nombre impressionnant de tableaux réalisés par Albert Anker, dont les reproductions ornaient la maison familiale de son enfance se souvient le collectionneur et dont il se targue d’en posséder aujourd’hui les originaux.

Le peintre naît le 1er avril 1831 à Anet, un endroit champêtre situé entre Berne et Neuchâtel, et a dû batailler pour déjouer les ambitions de son père qui le vouait à la théologie. Il sera élève du Vaudois classiciste Charles Gleyre avant de poursuivre ses études à l’École impériale et spéciale des Beaux-Arts à Paris et d’être honoré par plusieurs distinctions.

Mais c’est à Anet, dans la quiétude de ce lieu retiré, qu’Albert Anker peint les scènes bouleversantes du monde rural. D’une authenticité pénétrante, ses œuvres témoignent de l’existence rude de son époque, démunie de toute superficialité, touchant même à la pauvreté. Intérieurs sans grand confort, mobilier vieilli par l’usure du temps, vêtements simples… laissent supposer une certaine précarité, acceptée cependant avec bienveillance. Comme ces enfants de L’École en promenade (illustré), dont la plupart marchent pieds nus au milieu d’une nature bucolique. Leurs traits expressifs, d’où transperce la personnalité de chacun d’eux, sont saisis sur le vif.

De Anker à Hodler

A la réalité émouvante des œuvres d’Anker contrastent les paysages lumineux de Ferdinand Hodler, amoureux des lacs et des Alpes. Dès l’entrée du musée, l’œil est attiré par l’alignement de toiles cristallines du Léman et du lac de Thoune. L’artiste a posé son chevalet sur les sites les plus spectaculaires pour en capter la beauté à tout heure du jour et en toute saison. Le lac Léman vu de Chexbres, le soir, et d’autres panoramas, reproduits de manière fidèle ou plus abstraite, démontrent l’évolution artistique du peintre.

Outre Anker et Hodler, l’exposition « Chefs-d’œuvre suisses » présente les tableaux d’autres grands peintres suisses, tels que Félix Vallotton, Cuno Amiet, Alberto Giacometti, Ernst Biéler pour n’en citer que quelques-uns… tous issus de la collection privée d’un fin connaisseur doublé – à n’en point douter – d’un fervent admirateur.

L’un des plus beaux parcs de sculptures

Ne quittez pas le musée sans assister à la projection du film sur la fondation. Léonard Gianadda nous invite à une promenade dans son vaste parc de sculptures, classé parmi les plus beaux d’Europe. Entre plans d’eau, buissons fleuris et essences rares, ou au détour d’un bosquet, surgissent des œuvres d’art soigneusement choisies « qui ne sont pas arrivées là par hasard ». Chacune à son histoire… celle d’un grand homme !

Ann Bandle

CHEFS-D’ŒUVRE SUISSES
Collection Christoph Blocher
Fondation Pierre Gianadda, Martigny
Jusqu’au 14 juin 2020

La récréation de Noël

En cette fin d’année, le Musée Historique de Lausanne nous amuse, en racontant l’histoire des Loisirs, dans une exposition baptisée Time off.

Divertissement, repos, récréation, loisirs, distraction, évasion, délassement, disponibilité, ressourcement… Le temps pour soi peut se nommer de nombreuses façons et revêt de nombreux visages. Pourtant le loisir n’a véritablement pris de l’importance qu’avec l’industrialisation de la société au XIXe siècle, comme le souligne le Musée Historique de Lausanne, en devenant le temps gagné par le plus grand nombre sur le travail, au prix de nombreuses luttes et revendications sociales.

Dans la Grèce Antique, le concept de loisirs n’existe pas vraiment. Ainsi l’attention réservée aux exercices physiques n’a rien d’une distraction, elle est une occupation nécessaire pour se préparer à la guerre. Le culte du corps répond à un idéal d’éducation et tout naturellement les artistes de l’époque s’en inspirent dans l’iconographie des vases ou fresques ainsi que la sculpture… Chez les romains, « l’otium », le temps libre, en marge des affaires ou des activités politiques ou militaires, consiste le plus souvent à se rendre aux thermes, qui jouent le rôle de véritables centres de loisirs. Près de 3000 personnes peuvent aller aux thermes de Caracalla pour bénéficier des différents bassins d’eau plus ou moins chaudes, profiter du théâtre, des restaurants ou de la bibliothèque !

Jusqu’au XVIIIème siècle, pour les paysans, c’est en fait le calendrier des saisons et des travaux des champs qui dicte le tempo des fêtes – souvent religieuses – et des réjouissances. Avec le siècle des Lumières, le loisir devient plus sensiblement synonyme de temps choisi. Certes, le phénomène ne touche qu’une infime minorité, élites aristocratiques et bourgeoises. Ainsi à Lausanne, les familles les plus riches s’offrent de vastes domaines agricoles pour profiter des beaux jours de l’été. Temps heureux de la villégiature. L’exposition propose ainsi une toile attribuée à Carel Beschey de « Citadins à la campagne » les montrant dans leur magnificence et dans un décor bucolique. Avec le développement des transports au XIX, bateaux ou trains, les voyageurs les plus aisés, soucieux de parfaire leur éducation, tentent d’élargir leur champ de vision. La publication de guides touristiques Murray, Joanne ou Baedeker se développe, tandis que les premiers tours opérateurs proposent à leurs clients, circuits et excursions variées.

Le Musée de Lausanne nous présente ainsi ces billets pour des expéditions en ballons dirigeables en Suisse ou cette pittoresque toile de Johann Konrad Zeller, avec ses touristes un brin effrayés par la chute de l’Eau noire en Savoie.

Un nouveau territoire de jeu

La montagne, moins intimidante, du fait des premiers records décrochés à la même époque par quelques alpinistes vedettes, devient aussi un nouveau territoire de jeu. Les anglais créent le premier club alpin du monde en 1857, tandis que les suisses leur emboîtent le pas en 1863. Au fil des ans, camping, randonnées, cyclisme se démocratisent avec l’instauration un peu partout en Europe des premiers congés payés et la limitation des durées hebdomadaires du travail. Photos des enfants de « l’œuvre » à Vidy-Plage, des sanatoriums de Leysin, la Suisse se taille une réputation dans les loisirs de santé. Mais elle n’oublie pas le divertissement, les cabarets et les spectacles comme en témoigne, les affiches colorées du théâtre Bel Air et les photos des nombreux cinémas que compte encore la Ville au milieu du XXème siècle. Au XXIème siècle, le wifi semble rebattre les cartes. Commerce en ligne, jeux-vidéos, home cinéma, prennent de plus en plus le dessus sur les loisirs collectifs. L’artiste Corinne Vionnet, clôt l’exposition lausannoise par une photo Agra, 2006, où elle « a tissé des milliers de clichés du Taj Mahal glanés sur internet », monument pour le moins iconique et emblématique du tourisme de masse. Une façon de nous interroger sur la façon dont nous construisons nos souvenirs. Sage initiative, à quelques jours de Noël où les selfies devant les sapins vont inonder la toile ! Comme si désormais la mise en scène de nos loisirs comptait davantage que leur exercice. Mais cela est sans doute une autre histoire !

Béatrice Peyrani

Time off jusqu’au 13 avril 2020
Place de la Cathédrale, 4 – Lausanne.

Photo : Zeller © Musée national suisse, Zurich

A Évian : coup de projecteur sur l’Expressionnisme allemand

Le Palais Lumière d’Évian consacre une exposition à l’Expressionnisme allemand. Une événement exceptionnel qui réunit pour la première fois les collections de deux musées l’Aargauer Kunsthaus en Suisse et l’Osthaus Museum Hagen en Allemagne. Une occasion de découvrir ou redécouvrir les initiateurs de l’une des plus importantes rébellions artistiques du XXème siècle.

Ils étaient quatre amis étudiants en architecture à Dresde, nés dans les années 1890 et voulaient réinventer l’art. Ils ont créé en 1905 le mouvement die Brücke, (le Pont). A l’origine de leur acte fondateur ? Une exposition d’un certain Van Gogh à la galerie Arnold de Dresde. Un choc libérateur qui pousse les quatre jeunes gens, Ernst Kirchner, Éric Heckel, Karl Schmidt-Rootluff à vouloir tout chambouler dans leur travail. Formes, couleurs, sujets, la nouvelle peinture doit tout révolutionner mais aussi faire des liens avec les arts premiers, les techniques du moyen-âge… Les fondateurs de Dresde sont bientôt rejoints par d’autres peintres comme Emil Nolde, Max Pechstein et Otto Mueller mais aussi des sculpteurs ou des cinéastes.  Rompre avec les codes académiques par la fragmentation de la forme, faire émerger le sentiment, sensibiliser les classes populaires à l’art, autant de missions que le Brücke s’assigne et popularise dans sa revue – opportunément nommée der Sturm : la tempête !  Sensible à la solitude de l’individu dans la grande ville, le mouvement avant-gardiste ambitionne de représenter non pas la réalité telle que nous la voyons mais au travers de nos sentiments et de nos émotions : la crainte, la peur, l’effroi. Témoin de cette recherche, le portrait de ce Groupe d’artistes, réalisé par Ernst Ludwig Kirchner, peu de temps après son déménagement et son installation à Berlin, qui témoigne de l’inquiétude de l’intellectuel dans son nouvel habitat urbain. Officiellement le mouvement die Brücke se dissout en 1913, les liens entre ses membres devenant trop distants.

Parallèlement au Brücke, à Munich, en 1912, d’autres artistes regroupés autour du russe Wassily Kandinsky, ajoutent à leur recherche picturale de nouvelles couleurs et de nouvelles formes, une quête de spiritualité, de mysticisme. Il désigne leur mouvement, une nouvelle manière de voir : der Blaue Reiter, le cavalier bleu.

Le palais d’Évian rassemble jusqu’au 29 septembre quelques 140 toiles des deux mouvements, dont un magnifique Paysage aux murs blancs de 1910 aux couleurs pures de Gabriele Münter, la compagne de Kandinsky.  Le couple va souvent travailler autour du lac Moritzburg près de Dresde, à la recherche d’un Eden bucolique, où ils peuvent peindre avec plus de sérénité en compagnie d’autres confrères, comme le peintre russe Alexej von Jawlensky qui les accompagne souvent.  Mais la défaite militaire en 1918, la grave crise économique de 1922, les conflits coloniaux, la montée du nazisme vont bientôt jeter les expressionnistes allemands …pour les plus chanceux sur les routes de l’exil. Bientôt qualifié d’artistes dégénérés par Hitler, des centaines de leurs œuvres seront bientôt brûlées et détruites. Kirchner, le fondateur du Brücke, réfugié en Suisse se suicide lui en juin 1938.

Béatrice Peyrani

L’Expressionnisme Allemand
jusqu’au 29 septembre 2019

Palais des Lumières
Quai Charles Albert Besson, 74500 Évian-les-Bains,

 

 

Lausanne, capitale de la mode

Le Musée Historique de la ville explore l’évolution de la silhouette féminine et masculine.

Être bien dans sa mode. Une évidence pour les millennials. Mais pas pour nos ancêtres. « Le confort dans la mode, c’est une idée plutôt neuve, qui ne date guère tout au plus que des années 1980, » raconte Claude Alain Künzi, le commissaire de l’exposition Silhouette, le corps mise en forme présenté au Musée historique de Lausanne. Grâce à la sélection pointue d’une vingtaine de pièces clés et emblématiques (robe du soir, gilet d’homme, redingote, veste à pièce d’estomac, robes bouillonnées…),  le visiteur peut juger de la fulgurante transformation et libération de la silhouette féminine et masculine du XVIIe à nos jours.  Se protéger du froid ou du chaud, s’embellir, affirmer sa différence, autant d’objectifs que de tout temps l’habit s’est assigné. Mais il a aussi façonné et refaçonné notre silhouette.

Preuves à l’appui, avec les inestimables pièces que le musée de Lausanne a choisi de mettre en lumière, parmi les quelques trois mille costumes qu’il possède et qui ont tous été portés ou fabriqués à Lausanne.

Pour commencer ce retour dans le temps un coup de projecteur sur le buste et la poitrine. Ils sont les vedettes incontestables de la mode du XVIIe siècle. L’atout séduction pour mettre en valeur les femmes. Le corset étreint les élégantes. L’exposition en montre de jolis spécimens ! Il faut souffrir pour être belle. Rares sont ceux comme Rousseau ou quelques doctes médecins  qui s’en émeuvent. Rigides, peu confortables, les robes à corset ne se portent que quelques heures pour une soirée, mais elles tiennent le haut du pavé durant des décennies. Heureusement les hanches et les fesses vont bientôt focaliser l’attention. Les magnifier ou les dissimuler, selon les époques – les robes cloches, puis à robes faux-cul vont faire merveilles. Il faut couvrir de plus en plus les jambes, ne laisser rien deviner d’un petit pied trop sexy dans sa ballerine. Pour la praticité, c’est raté, jusqu’au début du XXe siècle, la femme ne peut toujours guère se mouvoir, ou s’asseoir en habit. Celles qui appartiennent au beau monde, se changent pourtant trois ou quatre fois par jour !

Mais s’habiller, s’apprêter exige toujours beaucoup de temps, de soin et d’assistance ! Il faudra attendre le XXe siècle, l’émancipation par le travail et le sport pour commencer à voir enfin les couturiers construire la silhouette sur le corps même de la femme. A Lausanne, le grand magasin Bonnard attire une clientèle locale et internationale en quête des meilleures tenues de montagne, ski ou de tennis. L’enseigne a fermé en 1974 pour laisser la place au Bon Génie. Les enseignes et les quartiers changent, mais Lausanne, reste-t-elle toujours une place incontournable de la mode ? Sans aucun doute pour le commissaire de l’exposition qui a demandé à la photographe Christiane Nill de saisir au vol les silhouettes des lausannois d’aujourd’hui les plus lookées.  Surprenant…

Béatrice Peyrani

Musée historique Lausanne
Place de la Cathédrale 4 – 1005 Lausanne
Jusqu’au 29 septembre 2019

A l’ombre des regards

De la Renaissance à nos jours, la Fondation de l’Hermitage nous invite à porter notre regard sur les ombres des œuvres d’art. Là où lumière s’éclipse pour créer un contraste clair-obscur, dévoiler un mystère ou dramatiser un paysage. Des ombres parfois inquiétantes, colorées, spectaculaires, mais toujours fascinantes.

Selon un mythe qui date du 1er siècle après J.-C., le dessin et la peinture aurait été inventés par une jeune femme corinthienne qui traça les contours de l’ombre de son amoureux projetée sur le mur par la lumière avant qu’ils ne soient séparés. Par ce geste singulier, la première ombre est née, suivie d’une multitude de variations. Depuis ce temps lointain, les plus grands artistes en font usage, voire un véritable sujet, que ce soit dans les autoportraits comme en témoignent les œuvres de Rembrandt et Eugène Delacroix, ou le genre figuratif des impressionnistes. Avec le roi du Pop art Andy Warhol et sa série Shadows II, l’ombre portée atteint son paroxysme en terme d’abstraction. Et c’est toute la thématique de l’exposition transversale « Ombres » que nous présente la Fondation de l’Hermitage. A travers 140 œuvres réalisées au fil des siècles, le jeu subtil des ombres apparaît telle une évidence et sort… de l’obscurité.

Errance à la lumière des ombres

Parmi les nombreuses œuvres de l’exposition, le tableau magistral d’Émile Friant, Ombres portées (illustré), présenté au Salon de la Société nationale des Beaux-arts en 1891, met en scène un jeune couple. L’émotion est forte, puissante. Aux yeux implorants de l’homme, à son ardent désir, la jeune femme répond par un regard fuyant, leurs ombres en disent long. Un théâtre d’ombres et de lumière où rien n’est laissé au hasard. Pour y parvenir, les nuanciers déclinent les palettes de gris allant du gris bitume au gris tourterelle plus poétique, ou de bruns plus chauds, aux teintes brûlantes ou terre d’ombre.

Plus loin, les couchers du soleil flamboyants du peintre suisse Félix Vallotton  – qu’il affectionne pour en avoir peint près d’une quarantaine – illustrent quant à eux les ombres colorées. Une technique également adoptée par Hans Emmenegger, autre artiste suisse, dans le dessein de restituer au plus près la réalité.

Les ombres sous toutes les facettes

En parallèle à l’exposition, la fondation propose un programme d’activités pluridisciplinaires, jeux et parcours ludiques destinés aux enfants. Et pour les moins jeunes, une série de conférences, ateliers de découpage et stages pour une initiation tout au long de l’été à l’ombre des regards…

Ann Bandle

Fondation de l’Hermitage – Lausanne
Du 28 juin au 27 octobre 2019
Billetterie 

Les Quatre Saisons de Franz Gertsch


A l’occasion de l’inauguration de nouveaux espaces, le Musée Franz Gertsch à Burgdorf présente une rétrospective de l’artiste de 1955 à 2018. Les Quatre Saisons, œuvres monumentales à tout point de vue, sont désormais réunies sous un même toit. Une constellation inédite, plus réelle que la réalité.  

Si au cours de sa longue existence, Franz Gertsch n’a cessé d’inventer des techniques originales, il n’est pas pour autant, à 89 ans, en manque d’inspiration « j’ai encore beaucoup d’idées, probablement trop par rapport à mon âge », lance-t-il en souriant. A l’évidence, l’enthousiasme et la passion ne l’ont pas quitté. Dans l’isolement de l’Emmental, au pied des Alpes bernoises, à Rüschegg précisément, les journées s’écoulent sereinement. C’est là qu’en 1976, l’artiste a établi son atelier avec pour seule compagnie son épouse, Maria Meer, et pour seul horizon une vaste plaine peuplée d’arbres, ceux qu’il a plantés à son arrivée.

Dès lors, on ne s’étonne plus que ce jardin naturel constitue pour le peintre une source d’inspiration permanente. « C’est là que vivent les modèles que j’ai immortalisés ». Les sous-bois, les eaux noires au fond de la vallée, et derrière la colline, les rives du lac de Bienne, là où Franz Gertsch est né et de ce fait les plus belles. Fidèle à un rythme immuable, il travaille chaque jour cinq heures d’affilée pour nous livrer des paysages sauvages d’une précision consternante.

Une approche artistique innovante
En préambule à la peinture, Franz Gertsch arpente la campagne pour saisir sous son objectif le cliché digne d’être reproduit. « Je ne photographie que lorsque j’ai le sentiment que quelque chose pourrait en sortir » précise-t-il. Lorsque la photo est sublime, elle est projetée sur la toile pour en esquisser les contours selon une technique de son invention. Commence alors un travail titanesque de plusieurs années pour peindre plus vrai que nature, des paysages saisissant de beauté. Une peinture dense, lisible de près comme de loin. Maître de l’hyperréalisme, il invente un procédé semblable pour la gravure sur bois. Les reliefs sont marqués par un nombre infini de petites entailles avant d’être encrées puis imprimées sur du papier japonais, sorte de xylographie pointillée dont le résultat est tout autant stupéfiant.

Un Musée à son nom
Profondément impressionné par les œuvres de Franz Gertsch, le collectionneur et mécène Willy Michel fait édifier un musée à Burgdorf. Volontairement sobre, l’architecture est pensée comme substrat pour les œuvres de l’artiste, adaptée à l’exposition de formats monumentaux et de triptyques. Deux cubes aux lignes épurées entourés d’un jardin. Depuis son inauguration en 2002, le Musée Franz Gertsch, tel qu’il a été baptisé, a enrichi ses collections par de nouvelles acquisitions. Et plus récemment, une extension a permis de réunir dans un même espace – événement sans précédent – les « Quatre Saisons », un ensemble d’œuvres magistrales réalisées entre les années 2007 à 2011. « L’art n’est qu’une traduction de la réalité en une réalité picturale », nous résume avec modestie celui qui figure parmi des plus grands peintres contemporains.

L’exposition « Franz Gertsch. Printemps, été, automne et hiver » se déploie dans toutes les pièces du musée. Une rétrospective éblouissante à découvrir jusqu’au 18 août 2019.

Ann Bandle

Museum Franz Gertsch
Platanenstrasse 3
3400 Burgdorf

De Turner à Whistler, promenade anglaise à l’ère victorienne

Paysages romantiques à profusion, scènes champêtres ou scènes de vie tout simplement, l’exposition de la Fondation de l’Hermitage présente un tour d’horizon des grands peintres d’outre-Manche des années 1830 à 1900. Des œuvres picturales qui exaltent la beauté de la campagne anglaise mais témoignent aussi des changements induits par la révolution industrielle.

A l’époque où la reine Victoria règne sur le plus grand Empire du monde, la peinture anglaise ne connaît paradoxalement que peu d’engouement outre-Manche. Trop traditionnelle, trop conservatrice, voire d’un charme désuet face au mouvement impressionniste, elle a longtemps été reléguée au rang des œuvres narratives, sans originalité. Il faudra patienter presque à nos jours pour que les critiques d’art réhabilitent le talent indéniable des artistes victoriens et que leurs œuvres soient appréciées à leur juste valeur.

Des œuvres prodigieuses

A commencer par William Turner – l’incarnation même du romantisme anglais – qui figure parmi les plus grands paysagistes de son temps. Admis à 14 ans à la Royal Academy Schools, le jeune virtuose pousse la technique de l’aquarelle à son plus haut niveau avant de s’intéresser à la peinture à l’huile. En quête de sujets, il voyagera abondamment en France, en Italie et dans les Alpes suisses. Partout, il esquisse la topographie des lieux, annote les couleurs avec une précision inouïe. « Mon travail est de peindre ce que je vois… » Des paysages souvent tourmentés aux reliefs vertigineux sans cesse renouvelés. Il invente de nouveaux pigments, des dégradés de jaune qui éclairent ses toiles d’une lumière singulière que tant d’artistes lui jalouseront.

Si William Turner a inlassablement cherché l’inspiration dans les pays méditerranéens, son contemporain John Constable n’aime rien tant que sa chère campagne écossaise et ne quittera jamais la Grande-Bretagne. Il peint la nature sur le vif, scrutée dans ses moindres détails pour être méticuleusement reproduite. Une technique des plus abouties où il réussit le prodige de nuancer l’humidité de ces contrées pluvieuses. Le résultat est stupéfiant, mélancolique ou romantique, mais toujours vibrant. Van Gogh lui-même fut intrigué. Lors de son séjour à Londres en 1873, il retourna à maintes reprises à la National Gallery pour admirer The Cornfield, la toile que Constable réalisa en 1826, pour s’en inspirer.

Dans un registre différent, celui de la réalité sociale, d’autres artistes tels que Frederick Walker et Frank Holl mettent en scène l’indigence de la classe moins favorisée. Leurs tableaux – qui ne manquent pas d’une certaine hardiesse – illustrent les drames familiaux, les conditions de vie précaires, la misère. Des images sombres, pénétrantes, d’une imposante vérité.

Outre les artistes précités, l’exposition « La peinture anglaise 1830-1900 » du Musée de l’Hermitage à Lausanne réunit une sélection variée près de 60 tableaux des grands noms de la peinture victorienne et un ensemble inédit d’héliogravures. Dans le sillage de Turner à Whistler, la promenade est des plus émouvantes… à découvrir jusqu’au 2 juin 2019.

Ann Bandle

Fondation de l’Hermitage 
Route du Signal 2 – Lausanne

Illustration : George William Joy, The Bayswater Omnibus, 1895

Martine Franck : Une humaniste au Musée de l’Élysée

« Du jour de la naissance jusqu’à l’instant de la mort, la vie n’est qu’une révolution constante. Rien n’est permanent. Le plus difficile est d’accepter les changements en soi, autour de soi, chez les autres, et pourtant la plus belle aventure n’est-ce pas ce parcours qui part de soi pour se connaître, s’oublier et se dépasser ? ». Placée en préambule de l’exposition que lui consacre le Musée de l’Élysée de Lausanne jusqu’au 5 mai 2019, cet hymne à la vie écrit par la photographe Martine Franck ne pouvait être mieux choisi pour présenter ses quarante ans de photoreportage.  Un travail pour le moins bien atypique, loin des champs de guerre, couverts par la plupart de ses confrères masculins. Martine Franck, elle, a toujours voulu s’intéresser dès les années 60 à ceux, qu’on appelait – pas encore – les invisibles : les enfants, les personnes âgées, les laissés pour compte.  Plus qu’un choix artistique, une évidence pour cette femme timide et réservée, décidément pas « pas faite pour le trottoir », notait avec humour son célébrissime époux, le photographe Henri Cartier-Bresson de trente ans son aîné.

Jeune fille bien née, Martine Franck a vu le jour en 1938 dans une famille de collectionneurs d’Anvers, en Belgique, qui part se réfugier en Grande-Bretagne, puis aux États-Unis. Dans leur salon à Londres, ses parents accrochent des toiles Picasso, Ensor et Van Gogh. La fillette s’y fait déjà un œil. Adolescente, elle poursuit ses études aux États Unis à Long Island puis en Arizona. Elle rêve de devenir conservateur de musée ou galeriste et commence des études d’histoire de l’art d’abord à Madrid puis à Paris, à l’École du Louvre en 1958. Là, elle y soutient un mémoire sur « Sculpture et Cubisme 1907-1915 » et se lie avec la futur metteur-en-scène Ariane Mnouchkine. Chagrin d’amour ou besoin d’émancipation ? Les deux amies décident de tout plaquer en 1963 pour se lancer dans un long périple en Orient. Elles demandent un visa pour la Chine. Seule Martine l’obtient. Ariane la rejoindra donc à Hong Kong. Pendant son voyage en solitaire en République populaire, Martine Franck s’essaye à la photographie grâce à un Leica qu’un cousin lui a prêté. Déclic d’une vocation.  Puis découverte du Cambodge, de la Thaïlande, du Népal, de l’Inde, de l’Afghanistan… enfin retour à Paris.

Parfaitement bilingue en anglais, la jeune femme réussit à se faire embaucher par le magazine américain Time Life, au bureau de Paris. Elle sera d’abord l’assistante des photographes Eliot Elisofon et Gjon Mili, puis ose enfin montrer ses propres images, arrive à publier et devient photographe indépendante pour Life, Fortune, The New York Times. En 1970, elle intégrera l’agence Vu, puis Viva en 1972 et enfin l’agence Magnum, dont elle devient membre en 1983. Elle se convertit au bouddhisme en 1987 et multiplie ses immersions au Népal. Après la mort de son mari en 2004, elle prend la présidence de la Fondation Cartier Bresson et se mobilise pour en assurer la pérennité.

Dans les années 2010, se sachant très malade, Martine Franck sélectionne, quelques mois avant sa mort en 2012, les quelques 140 photographies les plus emblématiques de son parcours si singulier. Ce sont ces mêmes photos que le visiteur du Musée de L’Élysée a le bonheur de découvrir à Lausanne, comme ses fameux portraits de Michel Foucault, Balthus, Giacometti qui cohabitent avec le cliché d’un enfant dans une boîte en carton veillé par son frère et son chien si bien portant. Sans jugement, avec humilité, sans artifice, sans mise en scène, Martine Franck nous offre décidément toute la beauté du monde.

Béatrice Peyrani

Les Trésors des Hansen

La Fondation de Martigny expose une soixantaine de toiles impressionnistes, issue de l’exceptionnelle collection Hansen du musée Ordrugaard de Copenhague. Retour sur l’itinéraire d’un couple de mécènes pressés et avisés…
« Je passe mon temps à regarder des peintures, et autant vous le confesser tout de suite, je me suis lancé dans des achats considérables », écrit en 1916, Wilhelm Hansen, directeur d’une compagnie d’assurance danoise et conseiller d’État, à sa femme Henny. Faute avouée, à demi excusée ? Nul doute, pour ce mari féru d’art, qui sait plaider sa cause auprès de son épouse avec ferveur et talent, «je sais que je serais pardonné lorsque vous allez les voir ; les meilleurs peintres à leur meilleur… ». Effectivement, les emplettes de monsieur Hansen sont bien du meilleur : paysages de Sisley et Pissaro, cathédrale de Rouen de Claude Monet, portrait de femme de Renoir,  autoportrait de Courbet… Profitant de ses fréquents séjours à Paris, l’homme d’affaires danois, entre deux réunions, court les musées et les galeries et – en investisseur aussi avisé que pressé – multiplie les achats avant le retour de la paix et l’inévitable hausse des prix du marché de l’art qui s’en suivra. Alors que la première guerre mondiale n’est pas encore terminée, Wilhem achète ainsi au célèbre marchand parisien Berheim-Jeune : « Le Pont de Waterloo, temps gris » de Monet et le « Portrait de Madame Marie Hubbard » par Berthe Morisot. Durant cette même période, au Danemark, le couple fait l’acquisition d’un terrain près d’Ordrup Krat au nord de Copenhague, pour y faire construire une résidence d’été, dont il fera bientôt son domicile principal. La propriété, qui compte une galerie d’art, sert bien entendu immédiatement d’écrin à la toute naissante collection des heureux mécènes. Le pavillon est inauguré en septembre 1918 et immédiatement les Hansen en ouvrent gratuitement les portes au public chaque semaine. Les visiteurs s’y presseront avec enthousiasme et curiosité. Sensibles à la reconstruction de l’Europe, les Hansen se mettent aussi en quatre pour collecter un million de francs et aider au financement de la reconstruction de la cathédrale de Reims, très touchée par les bombardements de 1914. Malheureusement, la faillite de la plus grosse banque du Danemark met en péril la santé financière des affaires de Wilhem Hansen, qui venait de contracter auprès de ce même établissement bancaire un prêt très important. Pour éponger sa dette, l’entrepreneur doit céder la moitié de sa collection. L’orage passé, le mécène réussit toutefois à racheter une quarantaine de toiles impressionnistes de premier ordre, comme cette « Marine, le Havre » de Claude Monet peinte en 1866. Mais en 1936, le destin frappe à nouveau cruellement la famille Hansen. Wilhem meurt d’un accident de voiture. Fidèle à la passion artistique de son époux, Henny, va assurer la pérennité de la collection en léguant son domaine et ses tableaux à l’État danois. Le musée public d’Ordrupgaard ouvre en 1953 et c’est une soixantaine de ses toiles majeures de Cézanne, Gauguin, Renoir, Monet, Degas… que les visiteurs de la Fondation Pierre Gianadda ont le bonheur de découvrir et d’admirer jusqu’au 16 juin 2019.

Béatrice Peyrani

Quand Pablo Ruiz devient Picasso


Après le musée d’Orsay, la Fondation Beyeler présente à son tour une exposition consacrée au jeune Picasso, les périodes bleue et rose. Des œuvres que l’artiste a réalisées pour la plupart à Paris dans les années 1900 à 1906. « J’ai voulu être peintre et je suis devenu Picasso ».

Formé à l’Ecole des Beaux-Arts de Barcelone, Pablo Ruiz Picasso n’a pas vingt ans lorsqu’il se rend à Paris avec son fidèle ami Carles Casagemas pour l’exposition universelle. Mais déjà, sa technique est remarquable et son ambition à la mesure de son génie. Si Picasso s’intègre sans peine dans l’effervescence de la vie parisienne et travaille d’arrache-pied, son ami s’enlise dans une passion non réciproque pour sa muse, Germaine Pichot. Il sombre dans l’alcool et se suicide d’une balle au Café de la Rotonde en février 1901. La tragédie sera immortalisée dans le tableau « La mort de Casagemas » par un Picasso bouleversé. Il confiera alors « c’est en pensant que Casagemas était mort que je me suis mis à peindre en bleu ». Et c’est dans cet état d’âme, empreint de tristesse et de mélancolie, que débute la période bleue. Des années de misère et de pauvreté où l’artiste se noie dans un océan monochrome. Il en émerge de nouvelles formes figuratives aux teintes bleutées, glaciales, crépusculaires. Le désespoir, la vieillesse, la mort… le hantent. Des œuvres bouleversantes qui, malgré leur beauté, ne trouvent pas preneurs.

En avril 1904, Picasso s’installe au cœur Montmartre, au Bateau-Lavoir, où il croise entre autres Modigliani, le portraitiste Kees van Dongen et Max Jacob qui lui apprend le français. Dans cette cité des artistes, il rencontre l’éblouissante Fernande Olivier, l’un des modèles favoris des peintres. L’amour entre dans sa vie et progressivement l’horizon bleuté cède au rose pastel, plus doux et plus tendre. Sa peinture se transforme, les couleurs chaudes réapparaissent, la chance lui sourit. La collectionneuse d’art contemporain, Gertrude Stein, le remarque et expose ses toiles dans son salon aux côtés de celles du célèbre Matisse. Désormais, il est connu du Tout-Paris et se lie d’une amitié autant artistique que littéraire, avec Apollinaire, qui restera un soutien infaillible.

Perpétuellement en quête de renaissance artistique, Picasso peindra dans une course effrénée plus de trois cents œuvres en six ans qui exaltent la vie, l’amour, la sexualité, le destin et la mort… Admirateur de Matisse, son rival et chef de file du fauvisme, il lui dira « Moi j’ai le dessin et je cherche la couleur, vous avez la couleur et vous cherchez le dessin ».

L’exposition de la Fondation Beyeler « Le jeune Picasso – Périodes bleue et rose » est l’aboutissement d’une vaste collaboration impliquant 28 musées et 41 collectionneurs privés. Elle réunit 75 tableaux et sculptures parmi le plus célèbres et pour certains rarement ou jamais exposés. Des œuvres qui précèdent le cubisme de Picasso et contribuent à son statut d’artiste le plus célèbre et prolifique du 20ème siècle.

Ann Bandle

FONDATION BEYELER JUSQU’AU 26 MAI 2019

Manguin, l’éclat du fauvisme

La Fondation de l’Hermitage présente une exposition éblouissante consacrée à Henri Manguin, le plus audacieux des peintres fauves. Des tableaux flamboyants, extrêmement bien composés, qui témoignent d’une technique maitrisée et d’un talent rare.

D’instinct, la peinture est apparue comme une évidence à Manguin alors jeune l’élève du lycée Colbert à Paris. Une volonté qui se concrétise par son admission à l’Ecole des Beaux-Arts. A vingt ans, il entre ainsi dans l’atelier de Gustave Moreau et se lie d’amitié avec Matisse, Marquet, De Mathan et Camoin. Sous leurs pinceaux, les couleurs se libèrent, elles illuminent la toile d’un éclat flamboyant. De ce bouillonnement artistique est né un nouvel élan expressionniste qui bouleversa les techniques traditionnelles.

Mais que serait le peintre sans sa muse ? En 1896 à Cherbourg, Mauguin rencontre la jeune pianiste, Jeanne Carette, un vrai coup de foudre. Belle et sensuelle, elle devient sa muse, son modèle préféré, la femme de sa vie. Jeanne sera omniprésente. Dans un atelier de fortune, installé au milieu de leur jardin rue Boursault à Paris, elle va poser pour le peintre de manière incessante.

L’enchantement méditerranéen

Malgré des débuts difficiles, le succès pour Manguin est quasi immédiat. Très vite, les collectionneurs s’intéressent à ses tableaux aux couleurs intenses. Elles émanent d’un authentique bonheur de vivre. L’hédoniste peint tout ce qu’il aime. Les paysages méditerranéens du sud de la France, Saint-Tropez en particulier. Sous le charme de ce petit village de pêcheurs, il loge à La Ramade – « la propriété où nous sommes dépasse tout ce que l’on peut imaginer, Saint-Tropez a l’air très beau… c’est le rêve » – avant de louer la villa Demière, perchée sur le haut d’une colline. L’artiste célèbre la beauté des lieux. Il peint le port, les plages sauvages, la mer, les arbres en fleurs, réalise ses premières aquarelles. Et surtout, il peint Jeanne, encore et toujours.

Jeanne, partout présente

L’exposition rassemble plusieurs tableaux illustrant l’épouse du peintre parmi les plus émouvants. Jeanne assoupie dans le jardin « La Sieste », d’autres sur la plage avec leur fils aîné Claude, ou encore sur le balcon de la villa Demière, la mer pour tout horizon. Puis Jeanne allongée nue à l’ombre des arbres, sa superbe chevelure relevée en un chignon volumineux. Les accords chromatiques sont d’une belle vivacité, les blancs ne sont jamais blancs, la palette du peintre chante… tout est opulence, tout est volupté.

A travers ses tableaux, Manguin dévoile une existence paisible et sereine. L’histoire heureuse d’un homme assurément heureux « la vie avec Jeanne avait été si complète et si belle».

Ann Bandle

« Manguin, la volupté de la couleur »
Fondation de l’Hermitage
Route du Signal 2 – Lausanne
Dès le 22 juin et jusqu’au 28 octobre 2018
Du mardi au dimanche de 10.00 à 18.00, jeudi jusqu’à 21.00

Jean Fautrier – Matière et Lumière

du 26 janvier au 20 mai 2018 – Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

Après la rétrospective de l’été dernier au Kunstmuseum de Winterthour en Suisse, le Musée d’Art Moderne de Paris consacre à son tour une exposition à Jean Fautrier « Matière et lumière ». Un hommage rendu à l’un des plus grands peintres et sculpteurs de l’après-guerre, précurseur de l’art informel, qui a légué quelque soixante oeuvres au musée. Remarqué dès son plus jeune âge pour son talent, Jean Fautrier a été admis à la Royal Academy of Art à quatorze ans. Il ne connaîtra un réel succès qu’en 1960, couronné par le Grand Prix de la Biennale de Venise, quelques années seulement avant sa disparition.

En avant marche pour la DADA AFRICA

Redécouvrir le Zurich de 1917, place de la Concorde à Paris? C’est le pari tenté et réussi du Musée de l’Orangerie avec l’exposition Dada Africa. Le mouvement avant-gardiste, né en 1917, au cabaret Voltaire à Zurich, jette à bas les canons des arts classiques occidentaux, dénonce les horreurs de la guerre et ouvre le dialogue avec toutes les formes dites d’art primitif de l’Afrique à l’Océanie. Une ouverture sur le monde, qui permet un siècle plus tard de rapprocher au sein de l’ exposition parisienne, statues Baoulé, têtes de Bouddha thaïlandaises, poupées indiennes, au côté des œuvres des artistes Dada, qui eux-mêmes s’en étaient inspirées, avec délice pour exaspérer le public et refaire le monde.

Cap donc sur le Musée de l’Orangerie, qui propose une belle déambulation en compagnie des représentants Dada les plus illustres comme Jean Arp, Sophie Taeuber-Arp, Tristan Tzara, Raoul Haussmann ou encore Hanna Höch…L’ illustratrice de presse berlinoise, peut-être moins connue en France qu’en Suisse bénéficie d’ailleurs d’un joli coup de projecteur du musée français sur son travail. Ses collages, mixant statues antiques cambodgiennes, jambes de boxeur noir, corps tatoué maori, sont autant de manifestes contre le colonialisme, le racisme ou le machisme qui n’épargnait non plus les artistes masculins du groupe Dada. A l’évidence Anna Hach, leur fournisseuse préférée de sandwichs et de bière comme ils l’appelaient souvent, avait aussi bien du talent !

Béatrice Peyrani

Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries -75001 Paris. Fermé le mardi. Jusqu’au 19 février 2018.

 

 

Monet Collectionneur

du 14 septembre 2017 au14 janvier 2018 au Musée Marmottan Monet à Paris

MONET COLLECTIONNEUR

L’exposition « Monet Collectionneur » présentée au Musée Marmottan à Paris est un événement inédit ! Oui, Monet fut aussi un collectionneur émérite. Tout au long de sa vieil s’entoura d’œuvres des plus grands peintres de son époque, des amis pour certains. Delacroix, Manet, Renoir, Signac, Cézanne, Pissarro, et bien d’autres… Une collection privée exceptionnelle, réunie pour la première foisPrès d’une soixantaine d’œuvres d’art qui nous révèlent sa passion et  son admiration pour les maîtres de l’impressionnisme, dont il est de toute évidence le chef de file…  A découvrir jusqu’au 14 janvier 2018.

Une élégante rétrospective

 

Les plus belles robes d’Hubert de Givenchy réapparaissent le temps d’une exposition organisée par la Fondation Bolle. Les plus célèbres aussi, celles que le créateur a dessinées pour Audrey Hepburn, sa fidèle amie.

Lorsqu’en 1953, on lui annonce la visite de Miss Hepburn, le jeune couturier alors âgé de vingt-quatre ans pense rencontrer la star internationale Katharine Hepburn qu’il admirait. Mais la jeune femme qui se présente à son atelier n’est autre qu’Audrey Hepburn, une ravissante actrice encore méconnue, à l’allure tropézienne en pantalon corsaire et t-shirt. L’œil du créateur tombe sous le charme de cette beauté atypique, si différente des stars en vogue. Chaussée de ballerines, la taille ultra fine, elle est aussi gracieuse qu’une danseuse étoile, sa première ambition.

Pour son prochain film Sabrina, elle recherche d’urgence une vingtaine de tenues. Les capacités de confection de son atelier étant limitée, Givenchy commence par refuser. Comme tant d’autres, il s’émeut devant cette femme-enfant irrésistible, bien décidée à le convaincre « faites ce que vous pouvez mais j’aimerais que ce soit vous qui m’habilliez »

Devenue star internationale, elle exigea d’être habillée par Givenchy dans tous ses films. On se souvient de la somptueuse robe bustier, brodée d’une guirlande de fleurs, portée dans Sabrina où elle tourbillonne dans les bras de William Holden, ou de la robe mythique du film oscarisé « Breakfast at Tiffany’s », la plus célèbre de la maison, un fourreau de soirée en satin noir, au dos subtilement dénudé et orné de cinq rangs de perles, un chic inimitable. « C’est lui qui m’a donné un look, un genre, une silhouette. C’est lui qui, visuellement, a fait de moi ce que je suis devenue » dira la star avec cette belle modestie qui lui ressemble.

Givenchy compta parmi ses célèbres clientes Liz Taylor, Jean Seberg, Brigitte Bardot, Jacqueline Kennedy… un beau palmarès. Il reconnaît pourtant que l’amitié qui l’a lié à Audrey Hepburn est unique, jamais il n’a eu « une telle complicité avec quiconque. » Audrey est une véritable icône, omniprésente et inspirante. L’admiration est réciproque et dura jusqu’au dernier jour de l’actrice disparue prématurément, même au-delà « elle est toujours présente dans mon cœur, il en sera toujours ainsi ».

Le magnifique catalogue de l’exposition « Audrey Hepburn & Hubert de Givenchy : une élégante amitié » réalisé avec la complicité du grand couturier présente une galerie de dessins et photos de ses sublimes créations, annotés d’anecdotes intimes et révélatrices d’une belle amitié.

Ann Bandle

Exposition « Audrey Hepburn & Hubert de Givenchy. Une élégante amitié »
Jusqu’au 17 septembre 2017 sur trois sites :
Musée Alexis-Forel
Château de Morges

Ferdinand Hodler au-delà des Alpes

hodler1908A découvrir au Musée Marmottan Monet, une vingtaine d’œuvres majeures de Ferdinand Hodler prêtées par des collectionneurs privés. Des paysages lumineux peints durant les vingt dernières années de sa vie.

Peindre l’impossible, la transparence de l’eau, la douce ondulation des vagues, l’éclat de la neige, le ciel voilé, une mer de brouillard, esquisser le silence, la sérénité de l’aube… sont autant de difficultés  qui en auraient effrayé plus d’un. Pas Ferdinand Hodler.

De tous les artistes de son époque, il fut le premier à relever le défi de peindre la montagne, la reproduire avec son écrasante immensité sur la surface restreinte d’une toile. Hodler excelle dans les nuances subtiles et bleutées, les reflets dorés du coucher de soleil. A force d’admirer la nature, son âme s’en émut profondément « et l’extase qui avait pris possession de son être, il nous l’a communiquée par la magie d’une évocation fixée pour l’éternité » écrira Henry Van de Velde lui rendant un ultime hommage lors de sa disparition en juillet 1920.

Les dernières années de sa vie, c’est assis à la fenêtre de son appartement Quai du Mont-Blanc à Genève où la maladie le retient, qu’il continuera à saisir inlassablement le paysage pour nous restituer sa puissante beauté.

Hodler Monet Munch

L’exposition « Peindre l’impossible » du Musée Marmottan Monet à Paris présente pour la première fois les œuvres de Ferdinand Hodler intimement liées à celles de Monet et Munch. Pas vraiment contemporains, les trois peintres ne se sont jamais rencontrés. En revanche, ils ont vécu la même période historique, celle de la transition entre le 19ème siècle et l’époque moderne. Représenter le monde, la nature et ses paysages, une même conviction pour ces précurseurs d’un style nouveau. Ils ont exercé chacun à sa manière une influence déterminante sur l’orientation de la peinture.

Ann Bandle

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Du 15 septembre 2016 au 22 janvier 2017
Musée Marmottan Monet
2, rue Louis-Boilly – Paris 16ème

Dès le 3 février et jusqu’au 11 juin 2017
En Suisse, au Musée Gianadda à Martigny

 

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Passions secrètes d’un français pour Dubuffet, Basquiat et les autres à Lausanne

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Il a choisi de rester anonyme mais a souhaité partager sa passion pour la peinture des années 50 à nos jours. A la Fondation de l‘Hermitage, un mécène français nonagènaire (avec un bon ADN artistique…son père peignait, sa mère collectionnait, son frère dessinait…) dévoile jusqu’au 30 octobre plus d’une centaine de ses peintures et sculptures. Une promenade enchanteresse au travers de ses coups de cœurs et de ses amitiés pour Louise Bourgeois, Andrew Mansfield, Robert Barry…

Depuis plusieurs années, la Fondation de L’Hermitage de Lausanne a noué avec succès des liens étroits avec certains collectionneurs lui permettant de montrer au public des œuvres inédites. C’est encore le cas cette fois ci avec cette exposition « Basquiat, Dubuffet, Soulages…une collection privée » où un esthète français, qui a préféré garder l’anonymat, a accepté de prêter pour quelques mois plus d’une centaine de ses peintures et sculptures, qui ont souvent été choisies et acquises dans les ateliers mêmes des artistes.

L’exposition commence avec une œuvre surprenante du suisse Christopher Draeger (le crash du R101, Beauvais, 5 octobre 1930), tableau inspiré d’une catastrophe, l’incendie d’un dirigeable britannique, qui avait causé la mort de 47 personnes à Beauvais et particulièrement marqué enfant le collectionneur, alors âgé de 4 ans. Le petit garçon avait vu les flammes du dirigeable alors qu’il était la nuit dans sa chambre chez son grand–père. Le lendemain, il était allé voir la carcasse de l’appareil avec son père et se souvient encore des agents de police qui assuraient le périmétre de sécurité. Un souvenir très présent dans sa mémoire qui a fait peut être qu’il ne pouvait qu’acquérir l’œuvre de Draeger. Qui sait.

Le parcours de l’exposition se poursuit par des accrochages plus prévisibles qui font la part belle à l’art de l’après-guerre : une salle consacré à l’œuvre foisonnante et facétieuse de Dubuffet, des toiles du danois Asger Jorn, fondateur du mouvement Cobra, et au néo- expressionnisme : Michel Marcelo (et ses natures mortes…), Jean-Michel Basquais, Anselm Kiefer. La création européenne est bien représentée avec les œuvres de Pierre Soulages, Niele Toroni (empreintes de pinceau numéro 50 répété à intervalles réguliers de 30 cm), Louis Soutter, Bertrand Lavier….Une belle sélection d’artistes américains Carl André, Mark Tobey, Cy Twombly …parachève cet ensemble unique. Sans oublier le coup de cœur du mécéne pour Derain, (Portrait du fils de l’artiste dans l’atelier, vers 1946-1950).

EXPOSITION « BASQUAIS, DUBUFFET, SOULAGES… UNE COLLECTION PRIVÉE » DU 24 JUIN AU 30 OCTOBRE 2016 – FONDATION DE L’HERMITAGE 

Béatrice Peyrani

 

 

Un Suisse roi de l’affiche : Gene (Jean) Walther

C’était IMG_8977IMG_9003-1dans les années 50 à New York. Il s’appelait Jean Walther. Le Musée Forel de Morges lui rend hommage. Une belle initiative qui s’inscrit dans la même démarche qui avait conduit ce même Musée à nous faire redécouvrir il y a quelques mois la vie tumultueuse du mannequin vedette Capucine.

Pour Jean Walther, ce sont ses descendants qui ont eu l’heureuse idée de confier au conservateur du Musée ses archives et de remettre un coup de projecteur sur ce grand affichiste. Jean Walter est né à Naters dans le Valais en 1910 dans une famille d’artistes. Après avoir suivi des cours dans l’atelier école de Georges Aubert à Lausanne , il intègre à Paris le bureau du plus célèbre affichiste de l’époque à savoir Cassandre (Adolphe Jean Marie Mouron) dans les années 30, avant de gagner l’Amérique et d’y connaître un beau succès. L’exposition de Morges nous fait découvrir ses créations colorées et élégantes de Jean Walther  (qui signe désormais son travail Gene Walther ) comme pour la compagnie aérienne TWA, la destination Lausanne ou la marque Nescafé. Sa mort prématurée à l’âge de 58 ans l’a sans doute privée de la reconnaissance qu’il méritait. Une injustice que le Musée de Morges tente de réparer.

Louis-Auguste Brun, retour au Château de Prangins

IMG_1917Peintre, collectionneur, marchand d’art, homme politique, l’exposition « De Prangins à Versailles » retrace la  trajectoire de Louis-Auguste Brun (1758-1815).  A l’âge de vingt-trois ans, cet ami de la famille Guiguer du Château de Prangins quitta la Suisse pour s’ouvrir à de nouveaux horizons.

Grâce à son talent, il réussit à pénétrer le cercle très fermé des peintres de la Cour de Versailles, participa aux folles chevauchées de la dauphine à Fontainebleau et aux Bois de Boulogne. Deux toiles de Marie-Antoinette à cheval et une centaine de portraits et dessins illustrent cette période de gaieté, d’insouciance, et d’élégance. La rétrospective que lui consacre le Château de Prangins restitue l’œuvre de l’artiste dans ce lieu qu’il fréquenta. A voir absolument jusqu’au 10 juillet 2016.

Elisabeth Greffulhe, la vraie duchesse de Guermantes

UnknownElle fut et restera la plus élégante comme en témoigne une récente exposition au Palais Galliera des robes de la comtesse Greffulhe, véritables trésors de la haute couture parisienne. Griffées Worth, Lanvin, Babani ou Soinard, elles ont contribué à la fascination exercée par celle qui inspira à Proust la duchesse de Guermantes.

Des tenues audacieuses, taillées dans des tissus précieux, qui dénotent son désir d’extravagance. Certains modèles, tels ce manteau de jour créé par Jeanne Lanvin en 1936 en satin de soie avec ses manchons et poches en fourrure, ou la robe noire dessinée par Vitaldi Babani en 1925 brodée de fils de soie verts et or, ont survécu aux courants de la mode et sont toujours d’actualité.

Tout le mystère est dans l’éclat

Immensément belle, élégante et gracieuse, ses apparitions suscitaient l’émoi, une figure de reine du monde comme il ne s’en trouve jamais que fort peu dans une génération écrira Emile Herriot. Photographiée inlassablement par Paul Nadar, Proust remua ciel et terre pour s’approprier quelques clichés. Subjugué, il alla des dizaines de fois à l’opéra pour le seul plaisir de la voir note-t-il dans son cahier de brouillon. Tout le mystère est dans l’éclat, dans l’énigme surtout de ses yeux. Je n’ai jamais vu une femme aussi belle… Elle sera l’héroïne de son œuvre « A la recherche du temps perdu ».

Les grandes auditions musicales de Greffulhe

Au-delà de son incontestable beauté, Elisabeth Greffulhe est brillante, une femme d’esprit, passionnée de musique. Elle est à l’origine de la création de la Société des grandes auditions musicales, en assura la présidence et le financement grâce à ses prestigieuses relations. On lui doit l’organisation du concours international de musique sous le patronage du prince Albert 1er de Monaco, la programmation de chefs-d’œuvre inédits ou rarement entendus en France, qui furent un immense succès, et l’émergence de nouveaux talents.

Sans aucun à priori, elle recevait chez elle à la rue d’Astorg diplomates, ministres et célébrités de la Belle Epoque… Clémenceau, Briand, Poincaré, le roi Carlo du Portugal, les princes d’Orléans, Léon Blum, Pierre et Marie Curie… dans l’ambiance féérique des six cent mètres de salons en enfilade aux parfums vaporeux de jasmin et de roses.

Séjours à Genève, à l’Hôtel de l’Écu

Ses fréquents voyages l’amenèrent le plus souvent en Suisse. Elle séjournait à l’Hôtel de l’Ecu, place du Rhône à Genève, ou au Château de Coppet chez ses amis le Comte et la Comtesse d’Haussonville avant de poursuivre sa route le long de la Riviera vaudoise. C’est aussi en Suisse qu’elle choisit de passer les dernières années de sa vie pour le bien de sa santé. Cette amie des arts ferma définitivement ses beaux yeux à Genève après avoir tenu pendant plus d’un demi siècle l’un des salons les plus brillants de Paris.

Pour en savoir plus :

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Ann Bandle

Courir à la visite guidée « Des Seins à dessein »

Des-seins-à-desseinNe manquez pas les derniers jours de cette audacieuse exposition d’art contemporain, la troisième du genre organisée par la Fondation Francine Delacrétaz, qui se mobilise en faveur des femmes atteintes d’un cancer du sein.

Du cancer du sein, il en est bien question dans cet accrochage, mais sans crash, voyeurisme ou larmoiement. A l’impossible, une quarantaine d’artistes d’horizon très différents, comme le photographe Matthieu Gafsou, les peintres Cendrine Colin, Céline Burnand, Ghislaine Portalis se sont attaqués. Pari gagné, ils livrent des œuvres sensibles et pleines de poésie dédiées « aux muses blessées ». A découvrir vite. Profitez de la dernière visite guidée, samedi 7 novembre, 15 heures, place de la Riponne, elle sera gratuite.

Une amie de Coppet au Grand Palais

IMG_6403Pour la première fois à Paris, une exposition d’envergure rend hommage à l’artiste femme la plus célèbre du XVIIIème siècle, Elisabeth Louise Vigée Le Brun. Durant son exil, la Suisse a été  sur le chemin de la portraitiste de Marie-Antoinette.

 Belle, talentueuse et pleine d’esprit, Louise Vigée Le Brun a connu la gloire dans toutes les cours d’Europe. Durant sa longue vie (86 ans), elle va réaliser 660 portraits et plusieurs paysages. Et pourtant, cette femme que le Tout-Paris s’arrache au XVIIIème siècle n’avait fait l’objet d’aucune rétrospective dans un grand musée européen. L’oubli est désormais réparé. A Paris, le Grand Palais présente 260 ans après sa naissance près de 150 tableaux, dont les portraits de la Reine Marie-Antoinette et de sa descendance, ceux-là mêmes qui l’ont propulsée dans les hautes sphères.

A onze ans, son père Louis Vigée, excellent portraitiste de la haute bourgeoisie, lui prédit « Tu seras peintre, mon enfant, ou jamais il n’en sera ! ». Homme cultivé, il aimait s’entourer de musiciens et des grands esprits de son temps. C’est dans cette effervescence artistique stimulante et sous le regard paternel bienveillant qu’elle acquit les notions de dessin et les rudiments de l’art du pastel. « La passion de la peinture est innée en moi » clame-t-elle, une passion qui est à la mesure de son prodigieux talent. Autodidacte, elle s’inspira aux prémices de son art de la technique d’autres peintres, tels que Greuze ou Vernet, copia leurs œuvres pour se faire la main tout en affinant son propre style.

Sa sensibilité artistique se dévoile dans les premiers portraits de son frère et de sa mère qu’elle réalise à 14 ans et qui suscitent l’admiration dans Paris. Remarquée, Louise s’impose très vite dans la société de son temps. Elle séduit par sa conversation durant les longues séances de pose et se lie d’amitié. La peinture étant le seul moyen d’avoir un portrait de soi, les commandes affluent, elle applique les tarifs les plus élevés et gagne bien sa vie. La célébrité viendra ensuite.

Au cours de l’une de ses promenades au Jardin des Tuileries qu’elle affectionne, distraction de l’époque pour voir et être vu, elle rencontre la Duchesse de Chartres, protectrice des artistes. Par son entremise, la porte de la Reine Marie-Antoinette s’ouvre… Les nombreux portraits qu’elle réalisa de la Reine sont tous d’une grande beauté, gracieux, peu importe s’ils adoucissent discrètement les défauts, la Reine s’y reconnaît.

A l’apogée de son succès, la Révolution lui fait prendre le chemin de l’exil. « Avant la Révolution, les femmes avaient le pouvoir, la Révolution les a détrônées », dira-t-elle en traversant toute l’Europe sans cesser pour autant de peindre. Un voyage qui l’amène tout naturellement en Suisse, au Château de Coppet où elle séjourne. Séduite par la beauté des paysages, elle s’exerce à les reproduire et nous laisse un tableau étonnant sur la fête des bergers à Unspunnen près d’Interlaken, elle y assiste en compagnie de son amie Germaine de Staël le 17 août 1808. L’œuvre est présentée au Grand Palais jusqu’au 11 janvier 2016.

Ann Bandle

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La face noire du Corbusier

LeCorbusierAlors que le Centre Beaubourg présente à Paris une rétrospective sur Le Corbusier à l’occasion des 50 ans de sa disparition, pas moins de trois biographies reviennent sur les facettes plus controversées du père de la cité radieuse de Marseille, notamment ses liens avec les fascistes français du Faisceau de Georges Valois et le régime de Vichy 1930 et 1944.

« Le Corbusier, une froide vision du monde », de Marc Perelman, Michalon.

François Chaslin « Un Corbusier » Seuil,

Xavier de Jarcy   « Le Corbusier, un fascisme français » Albin Michel.

Médias français et suisses sont pour une fois en phase sur la nécessaire relecture de l’héritage d’un des plus grands architectes du XXème siècle.