Le Sage, super-héros des Lumières

La Fondation Martin Bodmer à Cologny extirpe de ses prestigieuses collections plusieurs œuvres d’Alain-René Le Sage, des best-sellers qui ont marqué l’histoire littéraire française.

Nicolas Ducimetière, vice-directeur et conservateur de la fondation, fait revivre la trajectoire de ce romancier et dramaturge éclectique, jadis célèbre et pourtant tombé dans l’oubli. Après avoir connu une période de gloire sans précédent, figuré dans les bibliothèques les plus nobles et enflammé les cœurs de tous les foyers français et même européens, Alain-René Le Sage disparaît de nos mémoires.

Comment ce fils d’un notaire royal, breton de naissance, est-il parvenu à écrire des œuvres au succès colossal ? Orphelin à 14 ans, l’adolescent entre en pension chez les jésuites de Vanne avant de poursuivre ses études de philosophie et de droit à Paris. Ses fonctions d’avocat ne lui permettant pas de subvenir aux besoins de sa famille, il se lance dans la carrière des Lettres, autant par goût que par nécessité.

Un talent éclatant dans la satire

Le triomphe n’est cependant pas immédiat. Malgré plusieurs échecs cuisants, malgré les déceptions, rien n’altère son enthousiasme. Enfin, à l’âge de 46 ans et en quelques semaines, Le Sage produit deux grands succès ! Une courte pièce, Crispin rival de son maître, dont l’intrigue quelque peu bouffonne met en scène l’imposture d’un valet, un thème qui va beaucoup occuper les esprits. « Le propos est beaucoup plus subversif qu’on pourrait s’y attendre, car finalement montrer que l’on peut se faire passer pour un maître quand on est un valet, c’est avouer qu’il n’y a pas une grosse différence entre l’un et l’autre », analyse Nicolas Ducimetière. Deuxième succès, Turcaret, une comédie en cinq actes, jouée à la Comédie-Française.

D’énormes succès littéraires

Durant son exposé, Nicolas Ducimetière s’est également attaché à approfondir trois œuvres phares de Le Sage, figurant dans les collections de la Fondation Martin Bodmer : Le Diable
boiteux
, une trame satirique des plus singulières, illustrant les comportements de tous les milieux sociaux ; puis le roman-fleuve Histoire de Gil Blas de Santillane écrit entre 1610 et 1640, véritable portrait de la comédie humaine de cette époque dont le personnage principal vieillit dans la peau de son auteur ; et enfin Le Bachelier de Salamanque parut en 1736. Trois énormes best-sellers à découvrir grâce à la verve passionnante de Nicolas Ducimetière qui nous cite, entre autres, la lettre de Stendhal à sa petite sœur Pauline : « Le tableau le plus ressemblant de la nature humaine telle qu’elle est au 18e siècle en France est encore le bon vieux Gil Blas de Lesage. Réfléchis sur cet excellent ouvrage… ». Rien de plus incitatif pour nous plonger dans ce chef-d’œuvre d’un autre temps…

Ann Bandle

Voir le documentaire réalisé dans le cadre des Rencontres de Coppet par Dr Nicolas Ducimetière, illustré de gravures inédites.