Léon Spilliaert: l’alchimiste de la mélancolie

Léon Spilliaert

La Fondation de l’Hermitage réussit la gageure de rassembler près d’une centaine d’œuvres de Léon Spilliaert dans le cadre d’une rétrospective magistrale « Avec la mer du Nord ». Retour sur la vie de l’un des plus grands artistes belges, dont les pas nous mènent sur les plages d’Ostende.

Lorsqu’il évoque sa tendre enfance, Spilliaert nous laisse l’impression de jours heureux. Tout lui apparaissait si beau, si neuf, si étrange : « Je suis né à Ostende le 31 juillet 1881 d’une mère douce et mélancolique. » Un enchantement précoce qui sera brisé par une scolarité éprouvante. L’insouciance et la liberté s’éloignent : « On m’a volé mon âme et plus jamais je ne l’ai retrouvée ». De cette quête perpétuelle s’éveille une passion farouche pour le dessin. Très tôt, il s’imprègne en autodidacte des techniques des maîtres et affiche un talent incontestable. 

Ostende, port d’ancrage

Persuadé de sa vocation d’artiste – et haïssant tout ce qui est école, professeur, académie -, il travaille sans relâche et en solitaire. Chez lui à Ostende, son port d’ancrage. S’il déménage, c’est pour rester dans la ville même ou pour de brefs séjours à Bruxelles avant un inévitable retour à Ostende. Lieu d’inspiration, il y développe un style personnel, dénué de toute influence, qui le démarque de ses contemporains et réinvente le monde… sans s’éloigner de la ville qui l’a vu naître.

Avec la mer du Nord

L’esprit miné d’inconsolables tristesses, Spilliaert plonge son regard mélancolique dans la mer du Nord, celle d’Ostende naturellement. Errances nocturnes le long des plages, de l’estacade ou sur la digue. Le somnambule capte l’horizon toujours changeant pour le reproduire dans toutes ses variations. L’atmosphère est semi obscure – scènes de lumière et de drames –, à la limite de l’abstraction. Une intensité de lueurs vert azur ou bleues, travaillées en strates superposées d’une beauté infinie.

L’homme par lui-même

Ses autoportraits à différents âges de sa vie sont d’une singularité stupéfiante. Ne faisant pas mystère de son caractère tourmenté, l’artiste se montre avec des traits âpres, fiévreux, la chevelure flamboyante. Parfois, le visage défiguré par  des yeux exorbitants, comme saisi d’effroi. Il est vrai que la reconnaissance se fait attendre. Un supplice qu’il endure sans désespérer, ni lâcher ses plumes et ses crayons : « Ma pensée intime à moi, c’est que je me développerai tard, que tout ce que je fais à présent est peu de chose, en comparaison de ce qui dort encore en moi ! »

Une première exposition à Paris

Le succès arrive enfin, timide mais enivrant, entraînant dans son sillage d’autres gloires. Spilliaert expose aux côtés de Robert Delaunay et de Fernand Léger. En 1913, une exposition lui est consacrée à Paris. Hélas, l’euphorie sera de courte durée. La Première Guerre mondiale éclate… Il lui faudra patienter pour déambuler à nouveau librement sur la digue d’Ostende, reprendre ses pinceaux, et peupler la plage de la mer du Nord de silhouettes iconiques – celles des femmes de pêcheurs aux contours tout en courbes. Leur aura énigmatique s’habille de noirceur pour nous émouvoir de leur troublante mélancolie… 

Ann Bandle

Fondation de l’Hermitage
Route du Signal 2
1018 Lausanne
jusqu’au 29 mai 2023