Le sauvetage suisse de Monique Valcke Strauss

À 88 ans, cette pédiatre française raconte dans Cours Mirabeau son miraculeux passage en Suisse en 1943. Monique traverse la frontière franco-suisse, avec son frère Michel. Les deux enfants ont respectivement 6 et 8 ans !

« Allez, maintenant courez vite ! Vous allez grimper par-dessus les barbelés. De l’autre côté, vous trouverez un bout de terrain, puis d’autres barbelés à escalader. Après, vous ne risquez rien ! » Monique et son frère Michel ont respectivement 6 et 8 ans quand un couple de français les accompagne et les laisse seuls devant la frontière franco-suisse, le 21 mars 1943. À eux de se débrouiller !

Ce jour là, un soldat italien est en sentinelle. Il ordonne aux deux enfants de s’enfuir vite sinon il lâchera son chien. Monique ne saura jamais s’il bluffait ou s’il leur avait voulu donner du courage ?  La petite fille se blesse sur les fils d’acier, elle pleure, elle est terrorisée mais se retrouve saine et sauve de l’autre côté de la frontière avec son frère accueillie par … un douanier suisse.

 Devenue pédiatre pour enfants et aujourd’hui âgée de 88 ans, Monique Valcke Strauss a livré le récit de son enfance à un collectif d’étudiants dirigé par l’écrivaine et professeur de lettres Cécile Ladjali. Il en est sorti Cours Mirabeau édité par Actes Sud, un ouvrage pour l’Histoire mais écrit à hauteur d’enfant, ce qui en fait la puissance et la force.

Monique Valcke Strauss raconte sa naissance le 3 mai 1936 à Paris. Son père et sa mère, Walter et Marianne sont d’origine allemande. Lui est chef d’entreprise, elle musicienne. Ils ont fait partie de la bourgeoisie intellectuelle et aisée, ou du moins l’ont-ils cru.

Bouillie sucrée

Mais inquiets dès 1929 du sort réservé aux juifs dans leur pays, Walter militant actif au SPD et …d’origine juive a décidé de tout quitter et de partir …avec son épouse. L’exil du couple a commencé le 4 août 1933, à Strasbourg et là il leur a fallu tout reconstruire. Ils y arrivent presque, vivent avec leurs deux enfants  à Paris quand la guerre éclate en France. Walter s’engage dans la Légion étrangère. Marianne part avec les petits à Aix en Provence.

Monique se souvient de …plusieurs déménagements successifs chez des inconnus à Saint- Tropez, dans les Cévennes, à Dieulefit, des premières lettres encore pleine d’espoir de son père soldat au Maroc en 1940, de brèves retrouvailles à Aix avec leur père rentré du front en octobre 1940, puis de caches successives dans la forêt jusqu’au jour où leurs parents mettent Michel et Monique, avec dans leurs sacs de faux papiers et une fausse identité, accompagnés de «  parents postiches » dans un car pour Marseille, en vue de trouver un train pour Annemasse puis de rejoindre la frontière franco- suisse. Monique se souvient de ce matin là, «  du cours Mirabeau ( d’ Aix en Provence). La beauté du lieu, sa splendide architecture classique paraissait fade. Une odeur âcre planait dans l’air. Je comprenais qu’une séparation douloureuse allait avoir lieu. »

Monique a toujours sur sa main la cicatrice des barbelés de la frontière. Elle a gardé toute sa vie le goût des bouillies sucrées comme celle que le douanier lui a servie le jour de son arrivée en Suisse. Elle se rappelle de la longue chaîne de solidarité mise en place par la Cimade, l’organisation protestante, qui a trouvé pour elle et Michel des familles d’accueil distinctes à Berne et Bienne. Marianne réussit elle aussi à passer clandestinement la frontière en ski en mars 1944.  L’hôpital de Lausanne, le camp du Signal, celui de Moudon…Monique raconte tout avec pudeur, l’amour et les larmes de ses années suisses.

Cours Mirabeau, un livre magnifique à lire et relire aussi avec ses enfants ou petits-enfants.

Béatrice Peyrani

Mardi 3 décembre 2024, 19 h – rencontre avec Cécile Ladjali à la Maison de la poésie, Passage Rambuteau, 157 rue Saint-Martin 75003 Paris