Dans l’immensité de l’hiver lituanien, l’atmosphère est glaciale. Les bourrasques de neige figent le pays habillé de blancheur poudrée. C’est ici que la romancière Sarah Popp est victime d’un enlèvement brutal… à dessein bienveillant ! Le dépaysement est à la hauteur de l’intrigue.
Invitée à un festival de littérature à Vilnius, l’héroïne apprend que son vol de retour pour Bâle est annulé. Cette contrariété la ramène à son hôtel, où elle est interceptée par un ancien voisin du temps de son enfance, Aimé Anders. « Le hasard de cette rencontre paraît si énorme parce qu’il ne s’agit pas du tout d’un hasard », mais bien d’une traque planifiée. Si Sarah Popp parvient à lui échapper sur les routes enneigées, il la rattrape sans difficulté. Là, en terre inconnue, il la prive de sa liberté en l’enfermant dans un genre de mobile home. Son dessein est implacable : la contraindre à s’affranchir en dévoilant ce qu’elle n’a jamais voulu écrire, autrement dit coucher sur le papier un passé inavouable.
Oser reconnaître sa propre faiblesse
Dans son profond désarroi, la chaleur accueillante du mobile home apporte à la romancière un semblant de réconfort. Alternant douceur et fermeté, son agresseur l’enjoint de décrire les iniquités dont tous deux ont souffert durant les années soixante. Celles de jeunes filles tombées enceintes, placées ou emprisonnées, et celles d’enfants bâtards tristement abandonnés. À la résurgence de ses souvenirs enfouis, Sarah ressent une douleur violente lui transpercer le corps. Une tyrannie à laquelle elle tente de se dérober, mais la poigne d’Anders est invincible. Sur un coin de la table, il a empilé des feuilles blanches et lui glisse un stylo dans la main. Sous l’oppression, les mots se heurtent désordonnés. À cinquante-neuf ans, elle avoue les yeux embrumés « il est dur de reconnaître sa faiblesse ».
Des paysages oniriques
Au-delà du drame existentiel qui réunit les deux protagonistes, Rose-Marie Pagnard nous entraîne dans une course délirante à travers la forêt lituanienne. Se succèdent des pages lumineuses, d’une plume sensible et précise, où l’on entend crisser les pneus sur la neige, où la mélodie des merles nous attendrit, troublant à peine le silence abyssal de la nuit. Écrire « la conduit presque toujours dans la diversité prodigieuse de la vie ». L’enlèvement de Sarah Popp est aussi un voyage onirique que l’on a hâte de vivre dans toute sa vérité !
Ann Bandle
Rose-Marie Pagnard
L’enlèvement de Sarah Popp
Éditions Zoé, Genève – 2024