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«Musiciens d’autrefois» de Romain Rolland réédité

Romain_Rolland,_Meurisse,_1914Plus d’un siècle après sa parution, Actes Sud réédite Musiciens d’autrefois, un ouvrage qui expose une autre face de Romain Rolland, celle du musicologue. Excellent pianiste, sa passion pour la musique marquera son œuvre.

Après avoir publié Les origines du Théâtre lyrique, Histoire de l’Opéra en Europe avant Lully et Scarlatti, Vie de Beethoven, il s’est penché sur l’évolution de la culture musicale et ses formes dramatiques aux XVIIe et XVIIIe siècles. La réédition récente de Musiciens d’autrefois remporte le Prix des Muses.

Prix Nobel de Littérature (1916), Romain Rolland a lancé en France la vogue des romans cycles avec les dix volumes de Jean-Christophe. Il perd dès le début de la grande guerre son cher ami Charles Péguy. Rolland est alors en Suisse, où il a pris l’habitude de séjourner presque chaque année depuis 1882. Pour garder sa liberté et se mobiliser au service du pacifisme, il décide de rester en pays neutre. Jusqu’en juillet 1915, il travaille bénévolement pour l’agence des prisonniers de guerre à Genève. En novembre 1915, il publie plusieurs articles en faveur de la paix, réunis sous le titre Au dessus de la mêlée. Un plaidoyer pour la réconciliation future de l’Allemagne et de la France, qui lui vaut autant d’admiration (un prix Nobel), que de critiques et d’inimitiés. Avec la paix revenue, Rolland tente un retour en France en 1919 mais regagne vite la Suisse pour s’établir à Villeneuve en 1922. Sur la Riviera, il reçoit Stephan Zweig avec il correspond pendant près de trente ans, mais aussi Gandhi, Tagore, Gide, Istrati. Avec eux il rêvera de refaire le monde pour tenter de tirer les leçons de la grande guerre et d’en éviter une nouvelle.

La Littérature du Nord : Goethe et Mme de Staël

9782213654515FSEntretien avec Jacques Berchtold, directeur de la Fondation Martin Bodmer, sur l’ouvrage De l’Allemagne, publié par Germaine de Staël à l’issue de ses rencontres avec les plus grands romanciers et philosophes allemands de l’époque.


De l’Allemagne
 est-il un vaste plaidoyer en faveur de la vie culturelle germanique ?

Jacques Berchtold : Dans De l’Allemagne (1813), Mme de Staël, qui s’adresse au lectorat français, met en relation contraste les cultures respectives de la France et de l’Allemagne, en définissant leurs traits caractéristiques. Cet ouvrage revêt une importance capitale : il vise à rendre accessible à un large public français la connaissance de la littérature allemande. Le panorama offert est évidemment stylisé ; l’ouvrage donne de la pensée allemande moderne et contemporaine une certaine image partielle et partiale ! En rupture par rapport aux poncifs et préjugés conventionnels (une Germanie gothique et rugueuse), cette étude d’ensemble est sans précédent et a de toute manière le grand mérite de présenter à la patrie de Pascal, Descartes et Malebranche, une image du voisin du Nord qui détone, et notamment certains philosophes modernes très originaux (Fichte, Kant, Hegel), à côtés des dramaturges, romanciers et poètes. Bientôt l’anglophilie du 18e siècle cédera la place à un nouvel engouement pour la philosophie venue d’Allemagne.

L’estime qu’éprouvent l’un pour l’autre Germaine de Staël et Goethe naît-elle d’une certaine communion de pensée ?

Jacques Berchtold : Germaine de Staël a lu et commenté des ouvrages de Goethe et elle le rencontre à Weimar en 1804. Elle a déjà intériorisé un auteur à partir de la lecture enthousiaste de quelques-uns de ses ouvrages. Quand elle court pour le rencontrer elle s’attend à trouver un être passionné et écorché à l’image du personnage de Werther et doit déchanter sur ce point : Goethe lui apparaît comme froidement équilibré. Néanmoins elle admet volontiers que tel qu’il est, jouissant de recul et de distance par rapport à ses créations, il incarne le génie de l’Allemagne le plus accompli. Elle admire sa force imaginative qui le place au rang de Dante. Procédant volontiers de façon comparative, elle juge la conversation de son champion allemand supérieure à celle de Diderot et comprend que la scène des sorcières de Faust représente un exercice d’émulation réussi à l’égard de la scène analogue, en anglais, de Macbeth. Il n’y a pas de relation en miroir : de son côté Goethe, s’il a admiré Adolphe de Benjamin Constant, est beaucoup plus mesuré dans son appréciation de Mme de Staël.

Les réflexions de Goethe sur l’appauvrissement culturel et la disparition progressive du sens des valeurs sont-elles d’actualité dans le monde d’aujourd’hui ?

Jacques Berchtold : Goethe perçoit, dans les atermoiements de Hamlet (dans la pièce de Shakespeare), lui qui accumule des discours et retarde sans cesse l’exécution de son devoir de vengeance, la décadence d’un Occident guetté par l’exacerbation exagérée de la réflexion, au détriment du passage à l’action. De façon analogue, Faust est rencontré par le lecteur au moment où, au terme d’une portion de vie considérable vouée à l’accumulation de savoirs, il prend la mesure de l’inanité de celui-ci, de son impuissance et du fossé qui le sépare de la vie réelle. Goethe est le plus formidable puits de science qui soit mais il exprime partout sa prudence face à un optimisme béat par lequel on serait tenté (les Lumières françaises) de fonder un idéal de Progrès dans un entassement de connaissances mal encadré. Pour Goethe, le bagage culturel est un formidable outil qui permet de mieux comprendre la complexité des enjeux des mutations en cause dans la réalité politique et sociale la plus contemporaine. Goethe nous invite à ne pas perdre cette richesse et au contraire à l’accroître en comprenant mieux le prix des passerelles culturelles par lesquelles les littératures des différentes nations et des différentes langues, communiquent entre elles : si elles sont prises en compte, les diversités culturelles font la preuve qu’elles enrichissent un tout unitaire commun (Weltliteratur) et nous aident à explorer des voies nouvelles à leur tour efficientes.

Que vous inspire Germaine de Staël, en particulier son rôle comme femme écrivain ?

Jacques Berchtold : Mme de Staël est sans conteste une pionnière dans le domaine de la méthodologie de la curiosité et de l’interprétation littéraires. Par des ouvrages engagés et marquants, elle milite en faveur d’une approche consistant à comprendre préalablement la littérature dans le contexte de l’histoire des mentalités et de l’approche sociologique globale. Elle est sans conteste précurseur. À l’époque où elle le fait, le souci, de la part d’une Française, de réhabiliter, aux yeux des Français, les littératures du Nord, traduit un courage intellectuel qui ne doit pas être sous-estimé. De façon analogue, Goethe élargit considérablement l’horizon culturel de ses compatriotes lorsqu’il les invite à découvrir les littératures de l’Arabie, de la Perse et de l’Extrême-Orient. Mais Mme de Staël est de surcroît une femme. Dans un monde où les débats intellectuels sont traditionnellement dominés par les hommes, une « femme savante » qui revendique le droit de réfléchir, d’élaborer des ouvrages de réflexion et de participer au débat public et politique sur la culture, savait qu’elle allait rencontrer de gros obstacles. Le mépris exprimé par Napoléon et la censure qui a frappé De l’Allemagne lors de sa publication en sont des témoignages éloquents.

Portraits_JB-0428-2Jacques Berchtold Ancien élève du collège Calvin et de l’Université de Genève, il enseigna (1984-2000) la littérature française de la Renaissance au XIXe siècle dans les Universités de Berne, Genève, Yale et Johns Hopkins avant de devenir pensionnaire de l’Institut suisse de Rome. Professeur de littérature française du XVIIIe siècle à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (2001-2008), il obtient une chaire dans la même discipline à l’Université de Paris-Sorbonne (2008-2014). Il fut aussi professeur invité à Harvard en 2011. Il reçoit en 2014 la distinction, Chevalier de l’ordre des Palmes académiques.

Entretien réalisé par Ann Bandle pour Les Rencontres de Coppet

voir aussi les conférences organisées par Les Rencontres de Coppet en 2016

Capucine, la plus belle fleur de Lausanne ressuscite par la grâce de…Blaise Hofmann

Capucine-Blaise_Hofmann-livre-couverture-480x240La génération Instagram trouvera son compte dans le dernier roman de Blaise Hofmann : « Capucine », cette biographie d’une star oubliée d’Hollywood qui s’est donnée la mort à Lausanne dans les années 90. Retour sur une étoile filante, amie d’Hubert de Givenchy et d’Audrey Hepburn, partenaire de John Wayne, Dick Bogarde ou Alain Delon. Même les étoiles sont mortelles. Sauf quand un romancier leur redonne vie. Et c ‘est bien ce qui arrive à la comète «Capucine» que l’écrivain Blaise Hofmann, ressuscite pour notre plus grand plaisir.

Capucine ? Un nom qui ne vous dit rien. A oui, peut être si vous êtes Lausannois, habitant du quartier dit sous-gare et que vous avez très, vraiment très bonne mémoire, vous souvenez alors peut-être du suicide, il y a déjà bien longtemps d’une femme de 62 ans. Elle s’était jetée à la fenêtre de son immeuble du 6 chemin de Primerose, à Lausanne. Elle avait été dit-on très célébre. Un fait divers tragique qui remonte à déjà plus de…25 ans. Une histoire bien triste, oubliée depuis belle lurette.

Pas pour Blaise Hofmann, qui à travers un journal fictif nous fait revivre Capucine. Un drôle de nom pour une étoile. Capucine s’appelait de son vraie nom Germaine Lefebvre, elle fut bien une star des années 50, 60 et 80, de la mode et du cinéma, à Paris et Hollywood. Capucine? Sur la couverture du « Elle « de mars 1953, on la retrouve sous l’objectif de Georges Dambier, puis de Vogue France en juillet 1954 avec le photographe Henry Clarke. Belle, lumineuse, une silhouette longiligne, rien évidemment d’une femme banale. Egérie des grands couturiers Fath, Balmain, Dior et surtout d’Hubert de Givenchy. Partenaire de cinéma de Romy Schneider, John Wayne, Peter Sellers, Peter O’Toole, Dirk Bogarde, Alain Delon….dirigée par Frederico Fellini, Charles Vidor, Blake Edwards, Joseph Mankiewicz, amie d’Audrey Hepburn, de son vivant Capucine avait su bien s’entourer et choisi avec discernement ses rôles. Dans sa filmographie figure de nombreux classiques : « L’Aigle à deux têtes », « Le Bal des adieux », « La Panthère Rose », « Le lion »,   « Quoi de neuf, Pussy Cat ? » , « Le triomphe de Michel Strogoff », « Satyricon »…. Alors comment peut-on déjà avoir oublié Capucine en 2016? Trop d’ amants disparus. Pas d’enfant, pas de descendant pour entretenir sa mémoire. Pourtant Capucine méritait bien un retour sur sa vie aussi glorieuse que tragique.

En quelques 200 pages, Blaise Hofmann part sur les traces d’une jeune fille, à la valise pas très rangée, qui de Saumur à Cinecitta, a su se frayer un chemin des caves de Saint-Germain-des-Prés à Hollywood. Capucine n’était pas Juliette mais derrière son beau sourire, la femme fleur cachait les blessures d’une enfance cabossée et quelques autres secrets. C’est ce que vous découvrirez en vous plongeant dans ce récit lucide et cruel, qui a de quoi secouer la génération Instagram sur les misères de la célébrité et l’immortalité de l’amour fou.

Béatrice Peyrani

 

Audrey Hepburn: «Un instant de grâce »…en Suisse aussi.

71PrgWnDQyL._SL1240_C’est à Dublin, en Irlande, que se déroule l’histoire du dernier roman de Clémence Boulouque : « Un instant de grâce ». Mais, c’est en Suisse que son héroïne, l’actrice Audrey Hepburn, avait retrouvé le bonheur dans les prés avec ses enfants, non loin de Morges.

Dans « Un instant de grâce », qu’elle publie ces jours ci chez Flammarion, Clémence Boulouque imagine les retrouvailles d’un homme et de sa fille après trente ans d’absence. Le père est un déserteur de la vie. Il a flirté autrefois avec le nazisme. Un mauvais jour de mai 1935, il a quitté femme et enfant. Il est aussi taiseux que sombre. Sa fille, justement, il la retrouve pour la première fois, en cet été 1964. Elle s’appelle Audrey Hepburn. C’est l’actrice lumineuse et virevoltante de « Vacances Romaines », « Sabrina » ou « Diamants sur Canapé ». C’est une star, une vraie.

Le mari d’Audrey à l’ époque, l’acteur Mel Ferrer a organisé la rencontre, raconte Clémence Boulouque, dans un salon de l’hôtel Shelbourne, le plus chic et discret de Dublin. Ce petit monde sera à l’abri des journalistes et paparazzi qui épient les moindres faits et gestes de la sublime actrice.

Pourquoi alors face à Joseph Victor Anthony Ruston Hepburn, Audrey se sent elle si illégitime? Elle, l’icône d’Hollywood, l’actrice Oscarisée? La fille du renégat ne serait elle en réalité qu’une danseuse ratée ? Une usurpatrice qui aurait tout simulé  : élégance, talents, amour de la vie.

L’amour de la vie, Audrey Hepburn, l’a arraché avec une volonté de fer, trop heureuse d’avoir douté du bonheur en vain. « Les gens, plus encore que les objets, doivent être restaurés, réhabilités. Il faut leur redonner vie, les faire revenir à soi, et leur pardonner : ne jamais jeter quiconque », lance t elle à un journaliste. Le pardon l’a-t-elle sauvé ? Mystères d’une résilience.

Clémence Boulouque dessine au fil de la rencontre entre Joseph et Audrey l’incroyable destin d’une jeune fille de bonne famille, rescapée de la guerre, devenue reine d’Hollywood, mais pas seulement. Elle raconte les blessures et les fêlures d’une orpheline ressuscitée. Ressuscitée non par la gloire mais la grâce. « La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a un vide pour la recevoir, et c’est elle qui fait le vide. », écrit Simone Weil.

Touchée par la grâce, la vraie Audrey Hepburn n’a plus jamais voulu douter du bonheur. Comme si la survivante des horreurs de la guerre, n’avait pas d’autre choix que d’être heureuse. Le bonheur, elle avait décidé de l’empoigner à bras le corps. Le bonheur, elle avait choisi de le vivre en Suisse, un pays, interdit de guerre, libre de tout enfermement. De sa maison à Tolochenaz prés de Morges, elle avait fait un refuge pour ses deux enfants. Un refuge qu’elle avait appelé « La Paisible ». Sauvée, la colombe n’avait pas pour autant oublié les orphelins de la guerre.

Nommée Ambassadrice itinérante de l’Unicef en 1989, l’actrice a consacré les dernières années de sa vie à se mobiliser pour eux sur tous les continents. Audrey Hepburn repose en paix depuis 1993 dans le cimetière de Tolochenaz.

Béatrice Peyrani

 

« Pas de dernier métro » pour le couturier Robert Piguet

CPiguet_couv_BD_391txgd 2inquième enfant d’une dynastie suisse d’hommes politiques et de banquiers, l’enfant rêveur d’Yverdon a créé l’une des maisons de couture les plus en vue du Paris des années 30. Ami du poète Jean Cocteau, ce défricheur de talents a fait débuter dans ses ateliers les jeunes Christian Dior et Hubert de Givenchy. Ce n’est pas le moindre talent du styliste helvétique. Cinquante ans après leur création ses parfums « Bandit » ou « Fracas » connaissent encore le succès! Une biographie la première du genre, illustrée par de superbes photos et dessins rend hommage à ce timide surdoué.

Novembre 1940, les élégantes parisiennes se pressent en vélo taxi au 3 Rond Point des Champs Elysées pour découvrir la dernière collection de Robert Piguet, l’un des couturiers les plus adulés de l’époque. Robert Piguet est né à Yverdon en Suisse, il appartient à une vénérable famille de banquiers et d’hommes politiques, mais à Paris, il est surtout reconnu comme l’un des créateurs les plus lancés de la capitale, ami du poète Jean Cocteau et du génial décorateur Christian Bérard.

En cet automne 1940, la guerre prive la France d’essence. Les aristocrates et grandes bourgeoises parisiennes ne peuvent plus faire fonctionner leurs automobiles Bentley ou Packhard mais qu’importe, les belles accourent dans les salons de la maison de Haute Couture pour admirer les nouvelles robes du soir créées par le Maître et baptisées «  Boléro », « Noël », « Béatrice » ou « Espoir ». Tout un programme….

Contrairement à Coco Chanel qui a préféré fermer sa maison dès 1939, Piguet, comme Lanvin, Worth, Paquin, Molyneux, Lelong, Schiaparelli ou Balenciaga vont maintenir l’activité de leurs maisons. Un pari risqué, critiquable mais qui s’explique semble-t-il surtout pour Robert Piguet par son souci de ne pas mettre à la rue ses employés. Près de 300 personnes travaillent directement pour lui. Les ventes de l’été 1939 ont été bonnes pour l’ensemble des maisons parisiennes et les clientes ont continué de commander comme pour conjurer les incertitudes du temps. Robert Piguet lui continue de surprendre. Aussi réaliste qu’imaginatif, il a dessiné pour sa collection automne 1939 le très remarqué et pragmatique modèle « Saute en Cave », combinaison de lainage gris avec pèlerine à capuchon, transformable en…couverture.

Malgré l’époque trouble et morose, le couturier suisse connaît toujours le succès nous apprend Jean-Pierre Pastori, auteur de la première biographie consacrée à Robert PiguetUn prince de la mode, qui vient de sortir aux éditions de la Bibliothèque des Arts. Avec ses modèles «Permission», «Service Secret» ou «Dernier Métro», Piguet agite les gazettes, mais il n’est pas dupe. «Il y a encore deux trois folles pour penser à leurs robes, mais leur nombre va décroissant», écrit-il à une de ses amies.

Comme des millions de Français, lorsque l’invasion a eu lieu, les couturiers ont pris d’abord le chemin de l’exode, tentant pour beaucoup de s’installer à Biarritz, mais après la débâcle, ils sont vite revenus à Paris même si la vie commence à y être difficile. De son coté, l’occupant nazi souhaite faire de Berlin la nouvelle capitale de la mode et entend y …transférer les couturiers établis dans la capitale pour réaliser ce nouveau dessein. Que nenni, les créateurs parisiens, Lucien Lelong, en tête font la sourde oreille. Les sanctions sont immédiates pour tous, rationnement et contingentements des tissus et des matières premières. Piguet continue donc vaille que vaille, tentant d’abord de vendre ses collections en zone libre à Cannes ou Lyon puis travaillant par la suite souvent…gratuitement pour ses amis artistes.

Ainsi Robert Piguet donne -t-il un coup de main son ami Jean Marais pour les costumes de Britannicus, présenté sur la scène des Bouffes Parisiens ave Serge Reggiani et Gabrielle Dorziat. Très lié avec le décorateur de théâtre Christian Bérard, en 1934 Piguet avait déjà mis à la disposition de celui-ci ses ateliers pour la fabrication des maquettes de « La Machine Infernale » de Jean Cocteau. Pendant la guerre et après la guerre, Robert Piguet va habiller de nombreuses actrices sur scène et à la ville comme Michèle Alfa, Arlette, Marie Déa, Jeanne Moreau ou Edwige Feuillère.

A la différence d’une Chanel ou d’un Christian Dior, que Piguet a fait débuté en 1938 (il n’y restera que pour trois collections, étant mobilisé en 1939), le style Piguet s’est lentement effacé des tablettes de la Haute Couture, peut-être par excès de créativité comme le note le Figaro en novembre 1937 : « à chaque nouvelle collection, Robert Piguet tourne résolument la page; il enrichit la mode d‘aspects originaux et met le chroniqueur en face d’idées neuves…». Mais il aura su flairer le talent des plus grands comme Hubert de Givenchy qui lui aussi aura débuté chez cet esthète aussi élégant que discret. «Le style Piguet était sobre, simple, raffiné, le vrai bon goût », écrit ce dernier dans la préface de l’ouvrage de Jean-Pierre Pastori. «Piguet savait qu’il n’y a d’élégance que dans la simplicité et me l’apprenait. Je lui dois beaucoup, et tout d’abord de m’avoir fait confiance alors que j’avais encore très peu d’expérience», reconnaît pour sa part Christian Dior, le créateur du New Look , dans ses mémoires. Belle reconnaissance de la part de deux des plus grands couturiers du XXème siècle !

Malade, Robert Piguet décide en 1951, faute de successeur idéal de fermer sa maison pourtant très prospère, il meurt à l’hôpital cantonal de Lausanne, le 21 février 1953. Mais cinquante ans plus tard son nom continue de briller sur les étagères des parfumeries du monde entier avec ses fragrances au nom aussi espiègle et inattendu que « Bandit » ou « Fracas ». Des noms aussi non conformistes et iconoclastes que leur créateur. Sacrée revanche pour l’ancien écolier rêveur de l’Ecole Nouvelle de Lausanne !

Béatrice Peyrani

Pour en savoir plus : Robert Piguet Un Prince de la mode – Jean Pierre Pastori, préface de Hubert de Givenchy

Défilé de mode à la Maison Robert Piguet:

 

 

Courir à la visite guidée « Des Seins à dessein »

Des-seins-à-desseinNe manquez pas les derniers jours de cette audacieuse exposition d’art contemporain, la troisième du genre organisée par la Fondation Francine Delacrétaz, qui se mobilise en faveur des femmes atteintes d’un cancer du sein.

Du cancer du sein, il en est bien question dans cet accrochage, mais sans crash, voyeurisme ou larmoiement. A l’impossible, une quarantaine d’artistes d’horizon très différents, comme le photographe Matthieu Gafsou, les peintres Cendrine Colin, Céline Burnand, Ghislaine Portalis se sont attaqués. Pari gagné, ils livrent des œuvres sensibles et pleines de poésie dédiées « aux muses blessées ». A découvrir vite. Profitez de la dernière visite guidée, samedi 7 novembre, 15 heures, place de la Riponne, elle sera gratuite.

Juliette Récamier ou l’art de la séduction

Juliette_Récamier_(1777-1849)Dans la récente biographie, L’art de la séduction, l’historienne Catherine Decours présente un portrait loin d’être flatteur sur celle qui fut la plus belle femme de son temps, Juliette Récamier. Entourée de soupirants dont les espoirs sont rarement éconduits, elle fait beaucoup souffrir « les anges aussi ont leur cruauté, narcissique, cet ange-là jouissait de son pouvoir sur autrui »  comme le note à ses dépens Benjamin Constant.

Muse et mécène, Juliette Récamier est la reine des salons parisiens du XIXème siècle. Sa beauté légendaire autant que son esprit charment les plus grands hommes de son époque. La liste est impressionnante :  Ampère, Benjamin Constant, Lucien Bonaparte, Auguste de Prusse, Saint-Beuve, Victor Hugo et, au-dessus de la mêlée, René de Chateaubriand avec qui elle noua une liaison de près de 30 ans.

Durant ses multiples voyages en Suisse, la belle Juliette séjournait chez Germaine de Staël au Château de Coppet, où elle disposait d’une chambre attitrée. Et c’est au sein du cénacle d’intellectuels qui entourait son amie qu’elle rencontra pour la première fois Chateaubriand. Comme tant d’autres avant lui, l’écrivain fut bouleversé par sa beauté. De Coppet à Paris, ils se reverront grâce à l’initiative de Germaine de Staël. La suite est une romance qui dura jusqu’au dernier jour de Chateaubriand…

Ann Bandle

Juliette Récamier – L’art de la séduction – Catherine Decours publié aux Editions Perrin

Une amie de Coppet au Grand Palais

IMG_6403Pour la première fois à Paris, une exposition d’envergure rend hommage à l’artiste femme la plus célèbre du XVIIIème siècle, Elisabeth Louise Vigée Le Brun. Durant son exil, la Suisse a été  sur le chemin de la portraitiste de Marie-Antoinette.

 Belle, talentueuse et pleine d’esprit, Louise Vigée Le Brun a connu la gloire dans toutes les cours d’Europe. Durant sa longue vie (86 ans), elle va réaliser 660 portraits et plusieurs paysages. Et pourtant, cette femme que le Tout-Paris s’arrache au XVIIIème siècle n’avait fait l’objet d’aucune rétrospective dans un grand musée européen. L’oubli est désormais réparé. A Paris, le Grand Palais présente 260 ans après sa naissance près de 150 tableaux, dont les portraits de la Reine Marie-Antoinette et de sa descendance, ceux-là mêmes qui l’ont propulsée dans les hautes sphères.

A onze ans, son père Louis Vigée, excellent portraitiste de la haute bourgeoisie, lui prédit « Tu seras peintre, mon enfant, ou jamais il n’en sera ! ». Homme cultivé, il aimait s’entourer de musiciens et des grands esprits de son temps. C’est dans cette effervescence artistique stimulante et sous le regard paternel bienveillant qu’elle acquit les notions de dessin et les rudiments de l’art du pastel. « La passion de la peinture est innée en moi » clame-t-elle, une passion qui est à la mesure de son prodigieux talent. Autodidacte, elle s’inspira aux prémices de son art de la technique d’autres peintres, tels que Greuze ou Vernet, copia leurs œuvres pour se faire la main tout en affinant son propre style.

Sa sensibilité artistique se dévoile dans les premiers portraits de son frère et de sa mère qu’elle réalise à 14 ans et qui suscitent l’admiration dans Paris. Remarquée, Louise s’impose très vite dans la société de son temps. Elle séduit par sa conversation durant les longues séances de pose et se lie d’amitié. La peinture étant le seul moyen d’avoir un portrait de soi, les commandes affluent, elle applique les tarifs les plus élevés et gagne bien sa vie. La célébrité viendra ensuite.

Au cours de l’une de ses promenades au Jardin des Tuileries qu’elle affectionne, distraction de l’époque pour voir et être vu, elle rencontre la Duchesse de Chartres, protectrice des artistes. Par son entremise, la porte de la Reine Marie-Antoinette s’ouvre… Les nombreux portraits qu’elle réalisa de la Reine sont tous d’une grande beauté, gracieux, peu importe s’ils adoucissent discrètement les défauts, la Reine s’y reconnaît.

A l’apogée de son succès, la Révolution lui fait prendre le chemin de l’exil. « Avant la Révolution, les femmes avaient le pouvoir, la Révolution les a détrônées », dira-t-elle en traversant toute l’Europe sans cesser pour autant de peindre. Un voyage qui l’amène tout naturellement en Suisse, au Château de Coppet où elle séjourne. Séduite par la beauté des paysages, elle s’exerce à les reproduire et nous laisse un tableau étonnant sur la fête des bergers à Unspunnen près d’Interlaken, elle y assiste en compagnie de son amie Germaine de Staël le 17 août 1808. L’œuvre est présentée au Grand Palais jusqu’au 11 janvier 2016.

Ann Bandle

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