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L’intelligence artificielle, ange ou démon pour les écrivains ?

Entretien avec Alina Krasnobrizha, maître de conférence en mathématiques appliqués à Paris X et coautrice avec Arnaud Contival, de La Révolution IA, quand l’intelligence artificielle réinvente l’entreprise, publié aux éditions Héliopoles.

Damier : Que peut apporter l’IA à un créateur de contenu, auteur, scénariste, éditeur, publicitaire?

Alina Krasnobrizha : Alina Les outils de l’IA transforment en profondeur les métiers de la création. Cependant, il ne s’agit pas de remplacer la créativité humaine ; au contraire, l’IA l’enrichit, l’accélère et ouvre de nouvelles possibilités techniques. C’est un peu comme à l’époque où nous avons commencé à utiliser le PC pour écrire ou concevoir des images : cela a changé notre façon de créer. Aujourd’hui, nous passons à un nouveau niveau. Nous disposons d’outils capables non seulement d’optimiser certains aspects de la production, mais aussi de repenser complètement le processus créatif.

L’IA intervient dans la génération d’images, de vidéos et de textes, mais elle agit également comme un assistant ultrarapide qui ne dort jamais, qui pose des questions, structure la pensée, suggère des idées et traduit dans plusieurs langues. Imaginez pouvoir générer des dizaines de concepts en quelques minutes, explorer des styles que vous n’auriez jamais imaginés, ou dépasser vos propres blocages créatifs.

L’IA est un démon ou une chance pour les créateurs, artistes ou auteurs ?

L’IA n’est ni un démon, ni un ange gardien, c’est un outil extraordinaire qui va profondément transformer ces métiers. On nous propose des outils incroyables qui multiplient les possibilités de création, mais il faut apprendre à les utiliser correctement.

Les IA génératives, en elles-mêmes, ne créent rien avant qu’on leur pose des questions (un prompt). C’est ce prompt qui reflète notre créativité. Et c’est ce nouveau workflow, que l’on peut organiser grâce à ces outils et aux agents qui émergent, qui permet d’accélérer le processus créatif.

Le véritable gagnant sera celui qui saura maîtriser cet outil. Dans notre livre “La Revolution IA”, nous parlons du concept de « professionnel augmenté » : une personne capable d’accomplir plus de tâches répétitives en s’appuyant sur l’IA pour libérer du temps et se concentrer sur ce qui fait la véritable valeur de la création.

L’IA ne va t elle pas aspirer… leur travail et leur créativité ?

En effet, l’IA démocratise la création. Elle ouvre grandes les portes des métiers créatifs, permettant à un nombre croissant de personnes de produire un contenu professionnel de haute qualité. Cela permet d’augmenter le business et d’accélérer l’innovation. Par exemple, les startups peuvent se passer d’agences marketing et investir davantage dans leurs produits. Vu l’importance cruciale de la présence sur les réseaux sociaux, c’est un avantage considérable donc cela bénéficie au développement du business en général. En revanche, cela permet aussi aux professionnels de la création d’atteindre de nouveaux sommets. La création devient ainsi plus agile, plus accessible. Grâce à ces nouveaux outils, il est désormais possible de produire du contenu avec moins de moyens et plus d’efficacité, tout en allant plus loin dans ses ambitions. Aujourd’hui, on est capable de créer tout seul ce qui nécessitait une équipe technique auparavant.

A contrario ignorer l’IA est-il encore possible dans l’édition, la musique, l’architecture, le cinéma… etc?

Non. Ignorer les outils de l’IA et procrastiner, c’est prendre du retard.
Tout d’abord, l’IA permet d’être plus efficace, notamment dans les tâches administratives et répétitives à faible valeur ajoutée : remplissage de contrats, correction de textes, recherche documentaire, etc. L’efficacité est un facteur clé dans le business. Ne pas adopter ces outils, c’est courir le risque de se faire dépasser par la concurrence. On voit déjà des exemples où une seule personne peut accomplir le travail de 10, voire 100 personnes, et même remplacer une agence entière.

Du coté business, le challenge est plus ambitieux car il faut changer l’organisation entière. Dans notre livre “La Revolution IA”, nous donnons l’exemple de PMG, une grande agence marketing basée à Dallas. Cette entreprise de 800 personnes gère la publicité de marques comme Nike, Apple et Netflix. Il y a deux ans, son PDG a recruté un Chief Technology Officer pour transformer l’agence, convaincu que sans l’adoption de l’IA, l’agence cesserait d’exister. Aujourd’hui, cette agence met en place un workflow avec l’IA pour produire ses créations ; c’est davantage une boîte technologique qu’une agence de marketing. Les enjeux sont colossaux : il faut être agile et visionnaire, car prendre du retard serait impardonnable.

Une entreprise de tech peut intégrer et gérer des ingénieurs compétents en IA mais qu’en est il pour les indépendants romanciers et autres… artisans de la création ? Comment peuvent-ils se former comprendre ou intégrer l’IA dans leur quotidien sans perdre leur âme ?

L’IA en tant que discipline existe depuis près de 70 ans, mais c’est seulement maintenant que nous assistons à une véritable révolution dans son usage. Ce qui change tout, c’est notre capacité à interagir avec la machine en langage naturel, et surtout, le fait qu’elle nous comprenne. C’est cette avancée qui rend l’IA accessible à tous, et plus seulement aux chercheurs ou aux data scientists.

Parmi mes connaissances, il y un artiste qui sculpte le marbre en s’inspirant des œuvres de la Grèce antique, mais en les modifiant selon des contraintes physiques : il crée du marbre qui semble couler, tourbillonner, bouger. Son travail de base n’est pas très différent de celui des sculpteurs grecs : il polit, il coupe, il frappe. Mais avant de réaliser ses œuvres, il utilise une simulation numérique en 3D qui lui permet de mieux visualiser les effets recherchés.

L’IA est un outil qui permet d’explorer de nouvelles possibilités sans remplacer l’intention créative. Il suffit d’oser et d’essayer. De plus, ce défi lié à nos métiers nous pousse à nous remettre en question, et c’est dans ces temps de singularité que naît la véritable création.

Propos recueillis par Béatrice Peyrani