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Saint Moritz ou Zermatt sous le soleil exactement de la Dolce Vita

9782840496618 2Dans « In my Fashion », Bettina Ballard correspondante américaine de Vogue à Paris avant guerre puis après la Libération nous fait revivre les grandes heures de la haute couture en compagnie de Chanel, Dior ou Givenchy. Un délice à déguster comme un Spritz en été.

C’était d’un temps pas si lointain où le marquis Emilio Pucci habillait les élégantes sur les pistes de Saint Moritz ou Zermatt, photographiées par la créative Toni Frissel. C’est cette plongée dans les mémoires que ressuscitent Bettina Ballard dans son journal tout juste publié par les éditions Séguier. Emilio Pucci raconte Bettina « voyage sans cesse entre les 33 pays dans lequel il vend des vêtements. Il s’amuse aussi vite qu’il travaille, et parvient souvent à combiner les deux. Quand il skie comme un professionnel à Saint Moritz, il est sûr de croiser sur les pistes une de ses clientes qui lui commandera trois pantalons supplémentaires. » De Paris à Rome, en passant par New York ou Saint Anton, pas un des endroits fréquentés par la Café Society [2] ne manque à l’agenda de celle qui fut l’une des plus influentes journalistes américaines de l’avant et après- guerre. Mais surtout pas un des couturiers éminents n’échappe à la galerie de portraits que croque avec talent et rigueur la rédactrice. Néanmoins, pas simple spectatrice de son époque, elle s’engagea comme volontaire pour la Croix-Rouge pendant la seconde guerre mondiale et fut expédiée en Afrique du Nord pendant le conflit.

Chanel, Balenciaga, Christian Dior, Schiaparelli, la reportrice  les connut tous dans leur intimité.  Invitée dans les années 30 de la Villa La Pausa, à RoquebruneGabrielle Chanel possédait une maison sur la Riviera (que vient d’ailleurs récemment de racheter la Griffe aux deux C), Bettina Ballard restitue avec minutie le décor de la demeure chère à la couturière libératrice du corps des femmes. « La couleur dominante était le beige bien sûr. Même le piano était beige, comme toutes les chambres. On me rappela  que le duc de Westminster avait fait peindre son yacht en beige et qu’elle en avait tiré son obsession pour cette couleur en décoration…. » Mais en n’en oublie pas moins de donner quelques détails amusants sur le quotidien très privilégié des invités de la Pausa : «  On ne croisait personne le matin, et le déjeuner était le premier moment de la journée où les invités se réunissaient. Personne ne ratait ce repas, toujours très amusant. Dans la longue salle à manger, un buffet proposait des pâtes italiennes chaudes, du rôti froid, des plats typiquement français, un peu de tout en fait… ». Tout était servi sans qu’on y ait vu le moindre domestique s’affairer, Chanel ne mangeait rien ou presque note Ballard dans son journal, mais restait debout devant la cheminée, une main dans une poche, « l’autre brassant l’air, un sourire élargissant sa bouche déjà grande, alors qu’elle racontait des anecdotes drôles, touchantes ou malicieuses sur son passé ou celui de ses amis. »

Après-guerre, Bettina Ballard revient à Paris libéré et ré-enchanté par un certain Christian Dior qui fait ses débuts de couturier en 1946 chez Lucien Lelong. Entre une omelette au caviar et un soufflé au homard, Ballard et Dior construisirent une solide amitié tandis que les défilés du timide couturier enchainent triomphe sur triomphe jusqu’en 1957, année de la disparition prématurée de l’inventeur du New Look.  Le génie de la mode disparu, Bettina Ballard doit trouver ses héritiers. Nul doute  pour elle ce sera Balenciaga et le jeune Hubert de Givenchy qui vient de s’installer avenue George V. « Chaque saison les voit rivaliser pour la place d’honneur de la haute couture ; Balenciaga règne par son élégance pleine de maturité, mais Hubert de Givenchy l’emporte en jeunesse et en fraîcheur. Ce sont les deux plus importants couturiers de l’heure actuelle. » Morte en 1961, Bettina Ballard a le temps de décrire les premiers grands succès du prêt à porter américain mais n’ assistera pas à l’ ascension d’Yves Saint Laurent, dommage, elle l’aurait sûrement beaucoup aimé. Il n’empêche le livre de Bettina Ballard, si pudique sur sa propre vie privée, se savoure avec délices et ravira ceux pour qui la planète mode ne rimait pas avec frivolité mais amour de la vie.

Béatrice Peyrani